La remise en cause du statut fiscal d'exception de l'aéroport de Bâle-Mulhouse exaspère dans la région frontalière. Des élus alsaciens pressent Paris de se montrer plus conciliant pour préserver une "success story" qui génère des milliers d'emplois.
Installé entièrement sur le territoire français, l'Euroairport bénéficie depuis sa création d'un statut binational sans équivalent, devenu une source de malentendus récurrents et de longues négociations entre la France et la Suisse.
L'imbroglio fiscal vient de connaître un nouvel épisode: les autorités du canton de Bâle-Ville ont indiqué la semaine dernière avoir reçu une lettre des autorités françaises annonçant que la France imposerait sa fiscalité dès 2015 aux entreprises du secteur à statut suisse de l'aéroport, taxées aujourd'hui selon le droit suisse.
Paris n'a pas fait de commentaires, mais cette décision inattendue toucherait selon différentes sources aussi bien l'impôt sur les sociétés, que la TVA (de 8% en Suisse contre 20% en France) et les taxes prélevées par l'aviation civile dans cet aéroport, le septième de France et troisième de Suisse.
En mai 2013, la Direction générale de l'Aviation civile (DGAC) avait déjà demandé aux compagnies opérant en zone suisse (soit la grande majorité) de s'acquitter des taxes françaises. La levée de boucliers des Suisses avait cependant permis de suspendre la mesure.
Face aux nouvelles intentions françaises, une dizaine de députés, sénateurs et élus locaux alsaciens, dont le président UMP de la Région Philippe Richert et la sénatrice PS Patricia Schillinger, se sont réunis mercredi dans l'enceinte de l'aéroport pour sonner la mobilisation.
"Nous pensons que l'administration française n'a pas pris à ce stade la mesure de la situation", a dit devant la presse le sénateur Jean-Marie Bockel (UDI), membre du comité directeur de l'Euroairport, regrettant le caractère "comminatoire" du courrier adressé à Berne, qu'il a pu consulter.
Le président du conseil général du Haut-Rhin, Charles Buttner (UMP), a dénoncé de son côté le "centralisme" à l'origine d'une telle décision, tandis que la sénatrice Catherine Troendlé (UMP) a regretté une "méthode provocatrice", motivée par la recherche par le gouvernement "du moindre centime".
- EasyJet suspend ses investissements -
Tous ont demandé d'être reçus par le gouvernement, pour le convaincre de parvenir à un "compromis" dans ce dossier. Imposer la fiscalité française aux entreprises aurait selon eux des conséquences "dévastatrices", ont-ils prévenu.
La plateforme représente plus de 6.000 emplois, avec quelque deux tiers des revenus distribués à des employés français. Le chiffre atteindrait même 27.000 en incluant emplois indirects et induits, selon une étude récente. Outre le transport, l'Euroairport est devenu un pôle spécialisé dans la maintenance et l'aménagement intérieur des avions.
"C'est une success story", qu'il faut préserver, a fait valoir M. Bockel.
Avec une zone de chalandise qui s'étend jusqu'au Bade-Wurtenberg allemand, l'aéroport a enregistré en 2013 un record de trafic (près de 5,9 millions de passagers). Ces dernières années, il s'est particulièrement développé dans le secteur des compagnies à bas coût.
C'est d'ailleurs EasyJet (LONDON:EZJ) qui est monté au créneau la semaine dernière. La compagnie britannique "a besoin de clarté pour l'avenir et a décidé de suspendre toutes nouvelles décisions d'investissement", a expliqué une porte-parole.
Les élus craignent que d'autres entreprises fassent de même, voire que certaines quittent l'aéroport si la fiscalité française s'y applique. Le projet de raccordement ferroviaire de l'aéroport, prévu pour 2020, risque également d'en pâtir, a souligné M. Richert.
Pour sortir de l'impasse, certains élus soutiennent la solution avancée par des représentants des entreprises de l'aéroport. Ils proposent de préserver l'application du droit fiscal suisse, mais en prévoyant un partage "équitable" des recettes avec la France.
Avant l'émergence du problème fiscal, l'aéroport avait déjà été au cœur de polémiques autour de la législation sociale. Des entreprises avaient menacé de partir après un arrêt de la Cour de cassation en 2010, qui prévoyait d'imposer le droit social français dans tout l'aéroport.
En mars 2012, les deux gouvernements avaient finalement scellé un accord pour que les sociétés concernées puissent continuer à appliquer le droit helvétique.