par Costas Pitas et Estelle Shirbon
LONDRES (Reuters) - Theresa May était vendredi sur le point de perdre son pari des élections anticipées au Royaume-Uni, où le Parti conservateur devrait sortir sans majorité absolue des législatives de jeudi qui ont notamment vu une forte mobilisation des jeunes en faveur de l'opposition travailliste.
D'après la dernière projection réalisée par la BBC, les Tories de Theresa May obtiendraient 318 sièges à la Chambre des communes, huit de moins que la majorité absolue. Ils en avaient 330 dans l'assemblée sortante.
Le Parti travailliste de Jeremy Corbyn recueillerait 262 sièges, un score inespéré il y a encore quelques semaines qui va ouvrir une période de turbulences politiques en Grande-Bretagne et peut-être même retarder le début des négociations en vue du Brexit.
Alors que 610 sièges sur 650 avaient été attribués à 04h30 GMT, les Tories en totalisait 299 et le Labour 255.
Au niveau national, les conservateurs arrivent aussi en tête avec environ 43% des voix, contre 40% aux travaillistes, ce qui représente pour le Labour un bond spectaculaire de 10 points par rapport au scrutin de 2015, et un score historiquement élevé.
Jeremy Corbyn a déjà appelé à la démission de Theresa May et des critiques pointent dans son propre camp après une campagne jugée ratée, avant même qu'elle ne soit rendue cauchemardesque dans la dernière ligne droite par les attentats meurtriers à Manchester et à Londres.
Theresa May, qui comptait pourtant sur cette élection pour arriver en position de force à la table de négociations avec l'Union européenne (UE) en vue du Brexit, est apparue sur la défensive lors de sa première déclaration publique en fin de nuit, même si elle s'est efforcée de faire front.
"En ce moment, plus que toute autre chose, ce pays a besoin d'une période de stabilité", a déclaré la Première ministre, rappelant que la priorité est d'obtenir "un bon accord pour le Brexit".
"Si (...) le Parti conservateur a remporté le plus de sièges et probablement le plus grand nombre de voix, il nous incombera de faire en sorte que nous ayons cette période de stabilité et c'est ce que nous ferons", a-t-elle ajouté.
"LES GENS EN ONT ASSEZ DES POLITIQUES D'AUSTÉRITÉ"
Son principal rival, Jeremy Corbyn, dont le Labour était distancé de 20 points dans les sondages lorsque ce scrutin anticipé a été convoqué le 18 avril, a de son côté dit sa "fierté" devant ce résultat "chargé d'espoir".
"La politique a changé et il n'y aura pas de retour en arrière", a commenté le dirigeant travailliste.
"Les gens en ont assez des politiques d'austérité et des coupes dans les services publics", a-t-il martelé en jugeant que le temps de Theresa May était "terminé".
Certains bookmakers ont même fait pendant la nuit de Jeremy Corbyn leur favori pour occuper le 10, Downing Street à la faveur d'une éventuelle alliance avec les Libéraux-démocrates et le Parti national écossais (SNP).
Cette perspective comme celle d'un gouvernement conservateur sans majorité absolue a entraîné une chute de près de 2% de la livre sterling, qui a décroché dès la publication d'un sondage à la sortie des urnes.
"C'est une élection disruptive", a commenté le ministre chargé du Brexit, David Davis, sans toutefois s'avancer sur l'issue du scrutin.
"Il y a un tas de changement en cours en Ecosse et dans le nord de l'Angleterre", a-t-il ajouté, en référence notamment au net recul des nationalistes écossais après leur raz-de-marée électoral de 2015. Leur ancien dirigeant, Alex Salmond, a notamment perdu son siège.
Malgré ce résultat en retrait, le SNP arrive en tête dans la province qui s'était largement prononcée contre le Brexit, et sa dirigeante Nicola Sturgeon s'est dite toujours aussi déterminée à organiser un nouveau référendum d'autodétermination.
Le Labour a repris plus d'une demi-douzaine de sièges au SNP en Ecosse, terre autrefois fertile pour les travaillistes, et a aussi réalisé des scores historiquement élevés dans d'autres circonscriptions, à la faveur semble-t-il d'une mobilisation des jeunes électeurs hostiles au "Brexit dur" promis par Theresa May.
Le Labour a ainsi symboliquement remporté la circonscription de Canterbury, qui était aux mains des conservateurs depuis 1918.
Le scrutin a par ailleurs marqué un effondrement du Parti pour l'indépendance du Royaume-Uni (Ukip), promoteur historique de la sortie de l'UE.
"COMPLÈTEMENT CATASTROPHIQUE POUR MAY"
Nombre de commentateurs ont critiqué la campagne atone menée par Theresa May et ses revirements sur des mesures sociales impopulaires, avant que les attentats de Manchester et Londres ne déstabilisent un peu plus l'ancienne ministre de l'Intérieur, jugée coupable d'avoir supprimé près de 20.000 postes dans la police ces dernières années.
Celle qui lui a succédé au Home Office, Amber Rudd, n'a échappé à la défaite électorale que pour 300 voix après un nouveau décompte des bulletins, tant le résultat était serré.
"C'est complètement catastrophique pour les conservateurs et pour Theresa May", a commenté l'ancien ministre des Finances conservateur George Osborne, invité dans la soirée de jeudi sur la chaîne télévisée ITV.
"Il va y avoir une énorme remise en question de sa décision de convoquer cette élection, de son programme, de son style de campagne", a prévenu l'ancien chancelier de l'Échiquier, écarté l'an dernier du poste qu'il occupait depuis 2010.
Plusieurs élus conservateurs, comme la parlementaire Anna Soubry sur la BBC, ont invité Theresa May à "reconsidérer sa position" à la lumière du résultat du scrutin.
Même si elle reste à son poste, une assemblée sans majorité absolue représenterait un scénario très inconfortable pour une Première ministre affaiblie.
Alors qu'elle espérait imposer sa vision du "Brexit dur", elle devra au contraire composer en permanence en interne avec les élus les plus réfractaires à son projet, tout en négociant avec l'UE.
Les chances de voir le Royaume-Uni demander un délai dans le processus du Brexit ont augmenté de manière significative", estime Malcolm Barr, économiste de JPMorgan, dans une note diffusée vendredi.
Le dirigeant du parti unioniste d'Irlande du Nord, dont la région a voté majoritairement en faveur du maintien dans l'UE lors du référendum de l'an dernier, ne s'y est pas trompé en qualifiant un Parlement sans majorité absolue de "résultat parfait" pour son parti.
Jeffrey Donaldson s'est également dit prêt à négocier avec les Tories pour former une coalition gouvernementale, ce que l'ancien dirigeant des Libéraux-démocrates (Lib Dem), Nick Clegg, battu dans sa propre circonscription, a en revanche catégoriquement exclu.
(Avec la rédaction de Londres, Gilles Trequesser et Tangi Salaün pour le service français)