Crise économique et internet ont déjà profondément bouleversé la distribution. Pourtant, dirigeants et experts du secteur estiment que cette révolution est loin d'être terminée et qu'au-delà de l'enjeu technologique, elle contribuera paradoxalement à remettre les produits et les magasins au cœur du commerce.
"La distribution n'est pas dans une évolution mais dans une révolution qui oblige les grands acteurs mondiaux à revoir totalement leur manière de faire du commerce", a expliqué Antoine de Riedmatten, responsable distribution monde au cabinet Deloitte, lors d'une conférence en ouverture du World Retail Congress qui se tenait cette semaine à Paris.
Cette révolution, entamée depuis une dizaine d'années, est issue à la fois de la crise économique et de l'évolution des technologies.
La première, en restreignant le pouvoir d'achat, a fait naître chez les consommateurs une envie de consommer moins mais mieux. D'où de nouvelles exigences en termes de qualité de produits, de sécurité mais aussi d'information.
La seconde, née de l'émergence et de la généralisation d'internet puis du commerce mobile, a profondément modifié les habitudes. "Maintenant, les gens peuvent - et veulent - faire leur shopping n'importe où, n'importe quand", souligne le professeur Ira Kalish, économiste en chef chez Deloitte.
"Internet a transformé les consommateurs en êtres libres - de choisir, de comparer - et les a rendus plus avisés. La vraie révolution, c'est que grâce aux nouvelles technologies, les clients redeviennent le centre du commerce, ceux à partir desquels tout doit partir", estime Pierre-Antoine Granjon, PDG de vente-privée.com.
Côté distributeurs, cela oblige notamment à s'adapter en terme de technologies (ouverture de sites de e-commerce, bornes interactives en magasins...), mais aussi et surtout d'offre, d'horaires d'ouverture, de localisation ou de services.
Commerce physique et virtuel intimement liés
"Il va falloir casser les modèles existants. Et ceux qui ne le feront pas ou pas assez vite, vont purement et simplement disparaître", à l'image de l'américain Borders ou du français Virgin, avertissent les dirigeants d'Intel, pour qui les évolutions dans le domaine de la distribution n'en sont qu'à leurs prémices.
"Le commerce va sans doute davantage évoluer dans les dix prochaines années que dans les 50 qui viennent de s'écouler", estiment-ils.
Cette tendance est également très perceptible chez les grands patrons. Pour Georges Plassat, à la tête de Carrefour, même si "le changement a toujours été une constante dans le commerce", les dernières évolutions obligent surtout à revenir aux bases, comme le respect du client et de ses choix.
"Le total digital a pu être un rêve pour certains, mais peut aussi virer au cauchemar", estime ainsi M. Plassat, pour qui "la clé de demain est plutôt dans le fait de rendre à nouveau les magasins attractifs".
L'étude Deloitte souligne que le commerce purement en ligne devrait continuer à croitre (8% des ventes en 2017 contre 4% aujourd'hui), tout en restant minoritaire, et les points de vente physiques devraient rester le canal favori des consommateurs.
"Je suis convaincu que l'avenir de la distribution est à l'omnicanal", c'est-à-dire la combinaison du commerce online et des magasins, estime M. Plassat.
Cet avis est partagé par les grands acteurs du commerce sur internet. Ainsi, Jacques-Antoine Granjon estime que la première révolution liée à internet - celle qui a vu naitre des pure-players - est terminée et va laisser la place à une nouvelle ère où commerce physique et virtuel seront intimement liés.
"Le e-commerce est mort, vive le commerce", clame-t-il.
"L'heure est à l'abolition des frontières", renchérit Mindy Grossman de HSN, distributeur omnicanal américain.
Tous jugent que, au-delà de la technologie, c'est avant tout l'offre et la force de la marque qui vont revenir au cœur des stratégies.
"e-commerce, m-commerce, tout cela n'aura plus d'importance, ce qui va compter c'est ce que vous vendez, les produits, car c'est cela qui fait venir les consommateurs", juge M. Granjon.
"Les marques sont l'avenir de la distribution car ce sont elles qui créent la confiance et l'attachement qui sont les clés même du commerce", assure le dirigeant.