Encore floue, la prime exceptionnelle pour les salariés d'entreprises versant des dividendes, envisagée par le gouvernement, est d'ores et déjà décriée comme inégalitaire, tant pour les salariés que pour les employeurs, avec un effet limité sur le pouvoir d'achat.
Du côté des entreprises, l'inquiétude, déjà exprimée par le Medef et la Confédération générale des petites et moyennes Entreprises, est grande.
"Ce débat méconnaît la diversité du tissu économique français et continue d'assimiler la situation de nos entreprises à celles de grands groupes cotés", a encore réagi vendredi la Chambre des commerce et d'industrie de Paris.
"Pour toutes les entreprises qui versent des dividendes mais ne sont pas d'une extrême solidité, leur demander de verser 1.000 euros, ça peut faire mal", résume Antoine Richard d'Entreprise et Personnel, une association de Directeurs des Ressources humaines (DRH).
Pour Jean-Christophe Sciberras, président de l'Association nationale des DRH, "les entreprises apprécient que les règles du jeu soient connues à l'avance". "Les changer en cours d'année, ce n'est pas une bonne idée, d'autant que les négociations salariales sont quasiment terminées partout", observe-t-il.
Les syndicats ont, eux, fustigé une prime qui ne concernera pas des millions de salariés, la mesure ne devant s'appliquer ni au service public, ni aux entreprises ne distribuant pas de dividendes, ni aux sous-traitants qui participent à la création de la valeur ajoutée des grosses sociétés.
"On risque de laisser de côté ceux qui ont les plus gros problèmes de pouvoir d'achat. On bricole des choses (...) mais, au final, on ne fera que creuser les inégalités", estime Laurence Laigo (CFDT). "Nous sommes inquiets de voir que le débat sur le pouvoir d'achat et la contrepartie du travail qui doit être le salaire, se porte sur des modalités de rémunération inégalitaires parce que pas développées partout et de court terme", ajoute-t-elle.
Selon Antoine Richard, "si on ne vise que les très grosses sociétés, on ne va pas viser grand monde. Si l'objectif est le pouvoir d'achat, il faut élargir l'assiette".
Déjà, les dispositifs existants de redistribution de la richesse des entreprises vers les salariés du privé (participation, intéressement et épargne salariale) ne touchent qu'une partie de la population.
Fin 2008, un peu moins de six salariés sur 10 du secteur marchand (hors agriculture), avaient accès à au moins un de ces dispositifs, soit 9,3 millions de personnes, selon les dernières données du ministère du Travail.
Mais seuls 7,6 millions ont effectivement perçu une prime ou bénéficié d'un abondement de leur employeur à leur épargne salariale.
Avec des disparités criantes : 92% des salariés des entreprises de plus de 500 salariés ont accès à au moins un dispositif, contre 11,6% des salariés des très petites entreprises.
Fin 2005, "la prime Villepin (pas obligatoire, plafonnée à 1.000 euros), tout le monde l'a attendue et ça a dû toucher quelque 330.000 personnes", rappelle Laurence Laigo.
"Il faut faire attention avant de lancer tout d'un coup qu'on va distribuer comme cela de l'argent: cela risque de créer des espérances qui risquent fort d'être déçues", renchérit Jean-Christophe Sciberras.
"C'est un geste politique" visant à apaiser les exaspérations des salariés face aux "distributions colossales de dividendes faites dans certains groupes", estime aussi Sylvain Niel, directeur associé du cabinet d'affaires Fidal.
Car, comme le soulignait cette semaine le Crédit agricole dans une note, "la problématique des salaires devient centrale".
"La progression des salaires devrait rester modérée en 2011", prévoit la banque et, avec la remontée de l'inflation, "se pose la question de l'évolution du pouvoir d'achat des ménages", souligne-t-elle.