Investing.com - "Cela faisait longtemps qu'une innovation technologique n'avait pas suscité autant d'enthousiasme. Si ChatGPT et ses clones ont relancé les débats sur le rôle du travail humain, au-delà des forces et des faiblesses de la technologie, nous pouvons dire ce qui suit : Premièrement, l'adoption de ChatGPT prendra plus de temps que prévu. Deuxièmement, le modèle économique des chatbots ne présente pas les niveaux de rentabilité actuellement exigés par les investisseurs, et semble donc fragile dans le contexte actuel. Troisièmement, l'utilisation du Big Data continuera d'être critique dans l'adoption de la technologie de l'IA générative. Et enfin, le besoin de qualifier et de requalifier leur main-d'œuvre va augmenter rapidement, car les questions de capital humain (et d'obsolescence des compétences) continueront d'être critiques".
C'est ainsi que Jacques-Aurélien Marcireau, coresponsable des actions chez Edmond de Rothschild AM, explique le phénomène de l'intelligence artificielle par le boom du ChatGPT.
"Nous pensons qu'il y a un parallèle évident entre ChatGPT aujourd'hui et les véhicules autonomes en 2015. À l'époque, tout le monde était impressionné par la qualité des voitures autonomes et des pilotes automatiques développés par Tesla (NASDAQ :TSLA) et Google (NASDAQ :GOOGL). Mais 7 ans plus tard, les constructeurs automobiles comme les entreprises technologiques sont revenus sur terre. La technologie sera prête un jour, mais le cerveau humain a encore du mal à prédire le moment exact de ces initiatives", explique Jacques-Aurélien Marcireau.
Pour cet expert, le Chat GPT à l'échelle industrielle ne fait pas exception. "Cet outil de chat avancé est peut-être l'avenir, mais sa stratégie et son modèle de développement appartiennent à la décennie précédente (2010), caractérisée par un argent bon marché et des marchés en hausse. Les entreprises ont brûlé de l'argent pour être les premières sur le marché et créer des effets d'échelle favorables, comme Uber (NYSE :UBER), Airbnb (NASDAQ :ABNB), DoorDash (NYSE :DASH) et Groupon (NASDAQ :GRPN)", explique-t-il.
"Les recherches ChatGPT représentent actuellement un coût énorme pour OpenAI, la société à l'origine de cette technologie. Cependant, ces recherches sont toujours gratuites. A ce rythme, OpenAI devrait dépenser plus d'un milliard de dollars chaque année rien que pour satisfaire les demandes des internautes... A cela s'ajoutent les dépenses de R&D. Une redevance mensuelle de 42 dollars pourrait certainement réduire le coût, mais les utilisateurs s'attendraient à un niveau plus élevé de protection des droits d'auteur et à de sérieux efforts pour lutter contre la désinformation. Malheureusement, cette course à la notoriété fait également passer au second plan toute notion d'efficacité énergétique", estime M. Marcireau.
"ChatGPT est surtout un rappel que l'accès aux données est essentiel à un tel modèle à grande échelle et la pièce la plus puissante de cette chaîne de valeur, surtout avec des algorithmes de plus en plus compétitifs, comme c'est déjà le cas. Le chatbot rappelle également que le Big Data restera un thème d'investissement majeur dans les années à venir", ajoute l'analyste.
"Nous sommes enthousiasmés par les applications d'entreprise adossées à suffisamment de données pour générer des versions verticalisées, c'est-à-dire des domaines bien définis où le ChatGPT peut avoir un impact. Toutefois, son utilisation sera limitée dans les domaines où les routines sont moins nombreuses et les données historiques moins librement accessibles. C'est pourquoi l'IA générative peine à décoller dans des domaines tels que la conception et la simulation. Il est intéressant de noter que l'agence Getty Images tente de créer une jurisprudence sur la formation de ses modèles en déposant une plainte contre Stable Diffusion pour violation du droit d'auteur", note-t-il.
Qu'en est-il du capital humain ?
"Nous ne sommes pas trop inquiets à l'idée d'un monde sans emploi. Au contraire, de graves pénuries de main-d'œuvre persistent dans un certain nombre de domaines tels que les soins de santé, les services et la recherche. Cela n'a aucun sens de parler de la fin du travail humain alors que nous avons besoin d'ingénieurs, de techniciens et de chercheurs pour aider à lutter contre le changement climatique". Si l'IA générative présente un risque, il réside dans le besoin de main-d'œuvre hautement qualifiée. L'arrivée sur la scène et la propagation rapide de ChatGPT est un autre exemple de l'obsolescence accélérée du capital humain", déclare M. Marcireau.
"En conséquence, les gouvernements devront adapter les programmes scolaires et les entreprises devront repenser la formation professionnelle. Pour les entreprises qui s'engagent fortement dans la formation, cela représente un avantage concurrentiel important qui leur permettra de creuser leur écart d'innovation et de renforcer leur avantage", ajoute-t-il.
Comme un nombre croissant de tâches sont susceptibles d'être automatisées, cela devrait également réduire les mauvaises conditions de travail et libérer de l'énergie pour les défis à venir, explique-t-il. "L'économiste Alfred Sauvy aurait été d'accord avec nous. Sa théorie du transfert soutenait que les augmentations de productivité sont bénéfiques, car la demande et les emplois peuvent être déplacés vers des tâches à plus forte valeur ajoutée", souligne-t-il.
"Toutefois, cela ne signifie pas que l'avenir sera facile. Un défi crucial des prochaines décennies consistera à répondre aux besoins de requalification, de perfectionnement et de reconversion, tout en aidant les gens à gérer des parcours professionnels non linéaires. Nous devrons peut-être même revoir les principes de base de l'apprentissage scolaire", conclut M. Marcireau.