par Elizabeth Pineau
PARIS (Reuters) - Les attaques de Valérie Trierweiler contre François Hollande ont achevé de torpiller une rentrée politique déjà explosive, parasitant le message d'autorité et d'unité lancé par le Premier ministre Manuel Valls avec le remaniement de son gouvernement.
Comme un bégaiement de l'histoire, le chef de l'Etat, dont l'image est encore dégradée par les piques de son ex-compagne, qui l'accuse notamment dans un livre de mépriser les pauvres, va devoir, comme le 14 janvier dernier, s'expliquer sur sa vie privée lors de sa conférence de presse le 18 septembre.
Deux jours auparavant, le vote de l'Assemblée sur le discours de politique générale du Premier ministre fera l'état des lieux des troupes socialistes divisées sur la ligne économique pro-entreprises martelée par Manuel Valls.
Comme la plupart des socialistes, une élue ayant eu des liens d'amitié avec Valérie Trierweiler se dit "atterrée" par le contenu du livre paru jeudi.
"Quand on a, comme aujourd'hui, le Front national aux portes du pouvoir, on ne fait pas des choses comme cela", dit-elle.
Alors que l'Elysée observe un silence total, Manuel Valls en a appelé jeudi lors d'un déplacement au "respect de la vie de chacun et à la dignité des débats publics".
"Ce que les Français attendent du gouvernement et de moi-même comme Premier ministre, c'est de répondre à leurs attentes", a-t-il déclaré.
Depuis la nomination du nouveau gouvernement, le 26 août, le Premier ministre a dû éteindre presque quotidiennement divers incendies, qu'il s'agisse de l'ire provoquée par sa déclaration d'amour à l'entreprise devant le Medef, de la présence de la ministre de la Justice Christiane Taubira à une réunion des élus PS "frondeurs", ou des propos du ministre du Travail, François Rebsamen, sur la lutte contre les chômeurs fraudeurs.
"LE ROI EST NU"
"C'est comme un championnat, on avance match après match", confiait le chef du gouvernement dimanche à l'université d'été de La Rochelle, au terme d'un discours énergique où il a ménagé ses troupes tout en confirmant le cap économique basé sur la baisse des charges et des impôts en faveur des entreprises.
Une ligne symbolisée par la nomination au ministère de l'Economie de l'ancien banquier Emmanuel Macron en lieu et place du récalcitrant Arnaud Montebourg.
François Miquet-Marty, de l'institut Viavoice, voit dans cette façon de "prendre les rênes sur les enjeux du gouvernement, les liens avec le PS et avec les entreprises" un "pari nécessaire mais pas suffisant: il faudra des résultats".
Jérôme Fourquet, de l'Ifop, note que les pilotes de l'exécutif n'avaient guère le choix "face à un tableau de bord où tous les voyants sont au rouge".
"Les sondages révèlent un trou d'air désastreux. Plus que jamais le roi est nu et le prince était en train de le devenir", dit-il. "Continuer au même rythme n'était plus tenable. Il y avait nécessité de réagir et de montrer très énergiquement qu'on était décidé à aller chercher des résultats avec les dents car ces derniers se font attendre."
Outre une économie atone, les sondages d'opinion montrent une chute de François Hollande et de Manuel Valls dans l'opinion: moins quatre points pour le président (19%), moins dix pour le Premier ministre (43%) dans une enquête Ifop pour Paris Match réalisée après la nomination de "Valls II".
"L'objectif de ce remaniement, hormis d'écarter les fortes têtes, est de faire signer un avenant au contrat: maintenant on va sortir de l'ambiguïté qui pouvait encore exister et on va aller à fond dans la ligne social-libérale. En gros 'qui m'aime me suive'", résume Jérôme Fourquet.
"HOLLANDE EST TERRIBLEMENT SEUL"
Reste à savoir si les élus PS "frondeurs", qui ont repris du poil de la bête à La Rochelle en créant un collectif sans chef baptisé "Vive la gauche", iront jusqu'au bout de leur logique et refuseront de voter la confiance au nouveau gouvernement.
"Ce qu'on peut faire avec les membres du gouvernement, c'est plus difficile avec les parlementaires", dit Jérôme Fourquet. "On peut penser que la contestation va aller crescendo".
Un vote négatif à l'Assemblée pourrait entraîner une crise politique majeure susceptible de déboucher sur une dissolution qui amènerait vraisemblablement la droite au pouvoir.
Condamné à obtenir des résultats, l'exécutif a donc obligation de faire revenir une confiance perdue.
Mais dans cette tâche difficile, le gain en lisibilité cherché par les communicants du Premier ministre a été contré par le trouble engendré par la plume de Valérie Trierweiler, qui écorne l'image de François Hollande, décrit comme un homme méprisant pour les pauvres, qu'il surnommerait les "sans-dents".
"Ce qui est le plus difficile pour François Hollande, c'est qu'il est terriblement seul. L'ouvrage de Valérie Trierweiler ne va pas l'aider", dit Jean-Daniel Lévy, de l'institut de sondages Harris Interactive. "François Hollande a pendant longtemps a donné le sentiment d'être sympathique, d'être en empathie avec les gens. Cette image s'est estompée".
Pour autant, "rien n'est jamais définitivement figé", note le politologue, et de l'eau va passer sous les ponts avant de savoir qui portera les chances de la gauche à l'élection présidentielle de 2017, avec ou sans primaire socialiste.
En privé, le président aime donner l'exemple de l'Allemand Gerhard Schröder, qui n'avait perdu que de justesse face à Angela Merkel en 2005, trois ans après avoir engagé une politique voisine de celle prônée par Paris aujourd'hui.
François Hollande et Manuel Valls ont une chance historique avec une Europe désormais à l'écoute, une Allemagne dont la croissance faiblit aussi, un président de la Banque centrale européenne Mario Draghi qui est sur leur ligne, tout comme le nouveau président de la Commission, Jean-Claude Juncker.
Toute la question est de savoir si le retournement attendu se produira assez vite pour porter ses fruits avant 2017.
(Edité par Yves Clarisse)