par Emmanuel Jarry
PARIS (Reuters) - Quel que soit le dénouement que les députés lui donneront en juillet, la bataille de la loi Travail n'a guère fait que des perdants et les succès revendiqués risquent d'être éphémères.
La journée de mobilisation de mardi à l'appel de sept organisations syndicales et de jeunesse, dont la CGT et Force ouvrière, contre ce texte qui instaure la primauté des accords d'entreprise, ne devrait pas changer substantiellement la donne.
François Hollande et le gouvernement ont transformé en chemin de croix la dernière grande réforme du quinquennat et mis dans l'embarras la CFDT, principal soutien de ce projet.
CGT et Force ouvrière ont démontré ces quatre derniers mois qu'elles sOnt des forces avec lesquelles il faut compter mais restent largement cantonnées à une contestation stérile.
Quant au patronat, il sort de cette crise profondément divisé entre une aile sociale minoritaire et une aile libérale désormais tournée vers les échéances électorales de 2017.
"On a fragilisé les réformistes dans tous les camps et donné du grain à moudre à ceux qui disent qu'il ne faut rien attendre du dialogue social ni d'un gouvernement de gauche", déplore un acteur de la scène sociale.
Les crispations suscitées par le gouvernement, à force de maladresses, de coups de menton et de repentirs mal assumés, ne sont pas étrangères à l'échec des négociations des partenaires sociaux sur l'assurance chômage le 16 juin.
Un revers pour le chef de l'Etat, qui voulait faire de la négociation sociale la marque de fabrique de son mandat.
C'est aussi une défaite pour les "réformistes" du Medef, mis en minorité par une coalition hétéroclite de fédérations, du bâtiment aux assurances, qui ont refusé aux négociateurs patronaux le mandat qui aurait pu débloquer les discussions.
"VICTOIRE À LA PYRRHUS"
Pour l'économiste Elie Cohen, il y a un "double front du refus" constitué par la CGT et un "petit patronat" qui refuse le "fait syndical dans l'entreprise", alors que celui des grandes entreprises "a internalisé les règles du compromis social".
"Entre les deux, la CFDT a parfois du mal à trouver des partenaires", explique-t-il.
Dans ces conditions, si le dialogue social continue dans les entreprises, il paraît en panne au niveau interprofessionnel.
"Il ne se passera rien avant les élections présidentielle et législatives de 2017", prédit Guy Groux, de l'Institut de sciences politiques de Paris.
Si le gouvernement maintient qu'il ne changera pas l'esprit du texte, le numéro un de la CGT, Philippe Martinez, paraît à ce stade être un des rares gagnants de ces quatre mois de conflit.
"Même si elle n'a pas gagné sur la loi El Khomri, la CGT a réussi à installer l'image d'une centrale capable de rassembler les gauches non gouvernementales et les mécontentements", dit l'ancien conseiller social de Nicolas Sarkozy Raymond Soubie.
La CGT pourrait ainsi apparaître comme l'opposant numéro un en cas de retour de la droite au pouvoir en 2017, qui aurait pour conséquence un éparpillement accru de la gauche.
Mais pour Elie Cohen "c'est une victoire à la Pyrrhus". "Les tendances lourdes de l'économie française, le déclin industriel accéléré, la montée des services, l'économie de partage, marginalisent la CGT", dit-il.
COMMUNICATION CALAMITEUSE
Si la CGT a surfé sur un "sentiment général d'exaspération", elle "n'a pas réussi à mobiliser le secteur privé", note pour sa part Jean-Dominique Simonpoli, de l'association Dialogues.
Le bilan début 2017 des élections professionnelles devrait confirmer le recul de la CGT au deuxième rang des syndicats français derrière la CFDT, estiment la plupart des experts.
En outre, si Philippe Martinez a reconstitué une unité de façade de la CGT, les problèmes fondamentaux de l'organisation demeurent, dont une absence de réflexion stratégique et la prise de pouvoir par ses éléments les plus radicaux dans un certain nombre de fédérations et d'unions locales.
"La CGT reste une force de protestation mais ce n'est plus une force d'influence", estime Guy Groux.
Côté patronal, la situation n'est pas plus favorable à un dialogue social apaisé : Medef, CGPME et Union professionnelle artisanale sont aussi en pleine course à la représentativité.
Le Medef est en outre en proie aux premiers affres d'une guerre de succession, son président, Pierre Gattaz, ayant annoncé qu'il ne briguerait pas un deuxième mandat en 2018.
"Nous ne sommes pas dans un meilleur état que la CGT", confie un responsable de l'organisation patronale.
Dès les premières fuites dans la presse, en février, le texte porté par la ministre du Travail, Myriam El Khomri, avait été plombé par une communication calamiteuse.
"Le lancement a été très mauvais, c’est un cas d’école", reconnaît un ténor du gouvernement. "Il y a eu une hésitation entre la réforme par le dialogue (...) et par le choc."
C'est ainsi, selon lui, qu'ont été introduits dans la première version du texte, sans consultation avec les syndicats, le plafonnement des indemnités prud'homales pour licenciement abusif et la définition des motifs de licenciement économique.
Deux dispositions saluées par le patronat mais unanimement rejetées par les syndicats, y compris la CFDT. La première sera retirée et la seconde édulcorée, au grand dam du patronat.
"IMAGE DÉTESTABLE"
"Il y a eu un remords immédiat ; on a négocié mais c’était trop tard", ajoute ce ministre, selon qui les chefs de l'Etat et du gouvernement partagent la responsabilité de ce couac.
Manuel Valls et le ministre de l'Economie, Emmanuel Macron, "ont poussé à l'introduction de ces dispositions", tandis que François Hollande "a laissé faire", dit-il.
Des déclarations du Premier ministre prônant l'inscription dans la loi El Khomri d'une surtaxation obligatoire des contrats de travail de courte durée, ont contribué à braquer le patronat avant d'être retirées, mais là aussi le mal était fait.
Côté gouvernemental, on veut croire que les accords conclus en début de quinquennat par les partenaires sociaux sur la sécurisation des parcours professionnels, la formation et le dialogue social feront oublier cette séquence dévastatrice.
Un avis partagé par Jean-Dominique Simonpoli, pour qui il ne faut pas non plus ramener le bilan du quinquennat à l'échec de la négociation sur l'assurance chômage. "Il y a eu de vraies avancées en terme de dialogue social", estime-t-il.
Ce n'est pas l'avis d'Elie Cohen, pourtant réputé proche de la gauche, pour qui la méthode de François Hollande a été trop progressive, erratique et soucieuse d'offrir des contreparties à tout le monde pour produire des avancées substantielles.
"Le vrai problème était l'incapacité de la France à changer de modèle, à passer d'un modèle de l'affrontement à un modèle du compromis négocié", souligne l'économiste. "Le bilan est léger."
Au total, ces derniers mois donnent une image "absolument détestable" de la France à l'étranger, en "flattant tout les stéréotypes habituels" à propos des Français, ajoute-t-il.
"Le mouvement de grève a été peu suivi. En terme de journées de travail perdues, c'est pratiquement rien", dit-il. "En revanche, le côté radical et actions-commando à forte visibilité a coloré très négativement l'image de ce mouvement social."
(Edité par Yves Clarisse)