par Emmanuel Jarry
PARIS (Reuters) - A peine dévoilé, le projet gouvernemental de réforme du code du travail, salué par le patronat, suscite des réactions de rejet à gauche et de la part des syndicats, ce qui laisse présager une rude bataille au Parlement, voire une crise politique.
Le texte confirme la durée légale de 35 heures de travail par semaine. Mais pratiquement tout le reste est ouvert à la négociation collective, y compris la rémunération des heures supplémentaires, voire laissé à la discrétion de l'employeur dans certains cas, en l'absence d'accord.
Il assouplit aussi l'établissement de forfaits annuels individuels en jours ou en heures et étend cette possibilité aux entreprises de moins de 50 salariés, non couvertes par un accord collectif, dans la limite de 235 jours travaillés.
Les syndicats voient dans cette disposition une façon parmi d'autres de contourner la durée légale de 35 heures.
Même le premier secrétaire du Parti socialiste, Jean-Christophe Cambadélis, a déclaré qu'il ne voterait pas en l'état ce texte, que la ministre du Travail, Myriam El Khomri, doit présenter le 9 mars en conseil des ministres.
Une position partagée par la députée PS Karine Berger, proche de l'aile gauche du parti, selon qui l'examen du projet de loi par l'Assemblée nationale commencera début avril.
"Les propositions sur la réforme du Travail sont inacceptables", a renchéri jeudi sur son compte Twitter le député PS "frondeur" Yann Galut. "Je promets à Myriam El Khomri une bataille parlementaire homérique."
Le chef de file des frondeurs, Christian Paul, avait dénoncé dès mercredi soir un "contresens" économique et politique et fait état d'une "grande incompréhension au sein de la majorité".
La gauche de la gauche n'est pas en reste : "Face à la casse du code du travail, un devoir : insoumis sans compromis !" a dit sur son compte Twitter le cofondateur du Parti de gauche et candidat à l'élection présidentielle de 2017 Jean-Luc Mélenchon.
VERS LE "49.3"
Son partenaire du Front de gauche, le secrétaire national du Parti communiste, a jugé que ce texte disqualifiait le chef de l'Etat et le Premier ministre pour ce scrutin : "François Hollande ou Manuel Valls ne peuvent pas représenter la gauche dans cette élection", a déclaré Pierre Laurent sur iTELE.
A droite, l'ancien ministre du Travail Eric Woerth (Les Républicains) a salué sur Europe 1 un texte qui "déverrouille les 35 heures", la durée légale du travail hebdomadaire.
Mais l'ancien Premier ministre LR François Fillon a mis en doute, sur iTELE, la "légitimité démocratique" du gouvernement à faire cette réforme.
Dans ces conditions, l'exécutif, désespérément en quête d'une martingale pour réduire d'ici 2017 un chômage record, risque de devoir recourir à l'article 49.3 de la Constitution, qui permet d'adopter un projet de loi sans vote, obligeant les députés à faire tomber le gouvernement s'ils s'y opposent.
Une procédure évoquée par Myriam El Khomri dans Les Echos de jeudi mais jugée "gravissime" par la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann, classée à la gauche du PS.
"C'est un aveu. Toutes les grandes lois qui remettent en cause les grands acquis sociaux de notre pays (...) ne peuvent passer qu'avec le 49.3", a-t-elle déclaré sur France Info.
Les syndicats dénoncent par avance un déni de démocratie.
Le secrétaire général de Force ouvrière (FO), Jean-Claude Mailly, a jugé "cocasse" pour un gouvernement qui a fait du développement du dialogue social une priorité de devoir passer par le 49.3 pour un projet de loi comme celui-ci.
"Je suggère au gouvernement, s'il n'arrive pas à avoir une majorité (...) de faire un référendum", a-t-il dit sur iTELE.
"ENFUMAGE MANIFESTE"
Le 49.3 a déjà été utilisé pour la loi très contestée sur la croissance et l'activité du ministre de l'Economie Emmanuel Macron, dont les syndicats voient la main dans le nouveau texte, notamment dans deux de ses dispositions les plus controversées : le plafonnement des indemnités pour licenciement abusif et la définition élargie des motifs de licenciement économique.
Ces mesures étaient demandées par le patronat pour remédier à "la peur d'embaucher" des chefs d'entreprises.
Le président du Medef, Pierre Gattaz, a jugé que le projet de loi allait "dans le bon sens" (...), de même que la CGPME, qui s'est cependant montrée plus prudente en estimant que "les avancées potentielles" risquaient de rester des "mirages" pour les PME et de profiter surtout aux grandes entreprises.
Si la numéro 2 de la CFDT, Véronique Descacq, juge positifs le renforcement du rôle de la négociation et l'introduction du compte personnel d'activité (CPA), qui réunira tous les droits du salarié, les autres syndicats sont beaucoup plus sévères.
Joseph Thouvenel vice-président de la CFTC, autre syndicat réformiste, juge ce texte "très dangereux" pour les salariés.
Franck Mikula, secrétaire national de la CFE-CGC, dénonce "un enfumage manifeste qui consiste à laisser croire qu'on va sauver la France en flexibilisant les garanties des salariés" et demande une "réaction commune" des syndicats.
"Je suis très en colère", a-t-il dit à Reuters. "Il n'y a rien pour les salariés. On transforme le code du travail en instrument de sécurisation des entreprises."
La polémique naissante sur la loi El Khomri risque de compliquer la négociation entre les partenaires sociaux sur une nouvelle convention d'assurance-chômage, qui commence lundi.
"Ça va radicaliser les positions", estime Franck Mikula. "Plus ce gouvernement va vouloir flexibiliser les salariés, plus on aura besoin d'une assurance-chômage d'un excellent niveau."
(Avec Elizabeth Pineau, édité par Yves Clarisse)