par Michael Holden et William James
LONDRES (Reuters) - Tony Blair a promis au président George W. Bush de le soutenir "quoi qu'il arrive", huit mois avant l'intervention en Irak, et s'est basé sur des renseignements et des justifications biaisés pour engager le Royaume-Uni dans le conflit, conclut une commission d'enquête britannique au terme de sept ans de travaux.
Les auteurs du rapport fustigent l'attitude de l'ancien Premier ministre sur de multiples aspects, notamment la question des armes de destruction massive (ADM) que le régime de Saddam Hussein était soupçonné de détenir.
Pour les membres de la commission d'enquête, dirigée par John Chilcot, ces accusations ont été montées en épingle et l'intervention qui a suivi a été mal préparée.
Blême et tendu, Tony Blair qui s'est exprimé deux heures durant, a assuré avoir pris de bonne foi la décision de participer à la guerre en Irak et assumé la "pleine responsabilité" de ses éventuelles erreurs.
"Je n'ai pas induit ce pays en erreur. Il n'y a pas eu de mensonge, de tromperie ou de duperie", a-t-il déclaré ensuite à la presse.
"Soit, vous n'êtes pas d'accord avec moi, mais, de grâce, cessez de dire que j'ai menti, que j'ai été malhonnête ou que j'avais des arrières pensées", a poursuivi l'ex-chef du gouvernement.
Une note citée dans le rapport montre que le 28 juillet 2002, soit huit mois avant l'invasion de l'Irak, Tony Blair a fait part de ses réserves à George Bush, tout en l'assurant qu'il le soutiendrait "quoi qu'il arrive".
L'ancien président des Etats-Unis, qui n'a pas pu prendre connaissance du rapport, reste quant à lui "convaincu que le monde est meilleur sans Saddam Hussein au pouvoir", dit son porte-parole dans un communiqué.
CATALOGUE D'ERREURS
La guerre a coûté la vie à 179 militaires britanniques, rappelle le rapport.
La commission d'enquête ne s'est pas prononcée sur la légalité de l'intervention militaire, a précisé John Chilcot aux journalistes en présence d'une partie des proches des soldats tués en Irak.
"Nous avons toutefois conclu que les conditions dans lesquelles il a été décidé qu'une intervention militaire était juridiquement fondée étaient loin d'être acceptables", a-t-il ajouté.
John Chilcot a dressé l'inventaire des erreurs commises avant et après la guerre.
"J'AIMERAIS TANT QUE SADDAM REVIENNE"
Dans les jours qui ont précédé l'intervention étrangère en Irak, a-t-il dit, il a été demandé à Tony Blair de confirmer que l'Irak avait bien enfreint une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies, ce qui aurait justifié le recours à la force.
"Les renseignements que nous avions à l'époque de l'entrée en guerre se sont avérés faux. Les suites ont été plus difficiles, plus longues et plus sanglantes que nous ne l'imaginions."
Des proches des soldats britanniques tombés en Irak ont fait savoir qu'ils examineraient le rapport pour porter éventuellement l'affaire en justice.
La commission d'enquête estime que le régime de Saddam Hussein ne constituait pas une menace crédible et qu'il aurait fallu réfléchir à ses conséquences pour la région.
Pour Tony Blair, toutefois, le renversement de Saddam Hussein était la meilleure des solutions et le terrorisme qui sévit aujourd'hui au Moyen-Orient et ailleurs n'est pas lié à l'intervention.
Entre 2003 et 2009, au moins 150.000 Irakiens, des civils en grande majorité, ont péri et plus d'un million d'autres ont été déplacés. Aucune arme de destruction massive n'a jamais été retrouvée en Irak. A Bagdad, où des bombes explosent chaque semaine, le chaos perdure.
"J'aimerais tant que Saddam revienne, il a tué beaucoup de gens de ma famille, mais il était bien meilleur que ces politiciens et ces religieux qui ont mis l'Irak dans cette situation", a déclaré Kadhim Hassan al Djabouri.
A l'époque de la chute du dictateur, il avait été filmé s'attaquant à coups de masse à une statue de Saddam Hussein.
Le rapport souligne enfin que la Grande-Bretagne a accepté de participer à l'invasion sans avoir épuisé toutes les alternatives et qu'elle a ainsi contribué à saper l'autorité des Nations unies.
Invité à s'exprimer sur les conclusions de la commission d'enquête, l'actuel Premier ministre britannique, David Cameron, a estimé qu'il était important de tirer les leçons de cette intervention tout en appelant les députés britanniques à ne pas s'exonérer de leurs responsabilités, eux qui ont voté en faveur de l'invasion de l'Irak.
Le chef de l'opposition travailliste, Jeremy Corbyn, qui s'était à l'époque opposé à l'entrée en guerre du Royaume-Uni, a jugé que ce dossier montrait qu'il était important que Londres s'émancipe des Etats-Unis pour éviter qu'une telle erreur se reproduise.
(Nicolas Delame pour le service français)