par Maria Carolina Marcello et Alonso Soto
BRASILIA (Reuters) - Dilma Rousseff a perdu dimanche une bataille cruciale dans sa lutte pour son maintien à la tête du Brésil avec le feu vert donné par les députés brésiliens à sa destitution, ce qui pourrait mettre un terme à 13 années de pouvoir du Parti des travailleurs (PT).
Alors que des milliers de partisans et d'adversaires de la présidente manifestaient séparément devant le Congrès à Brasilia, comme dans de nombreuses villes du Brésil, les députés favorables à sa destitution ont facilement réuni la majorité des deux tiers requise à la chambre basse du parlement.
Après décompte final des votes, 367 élus se sont prononcés pour la destitution, 137 contre et sept se sont abstenus. Deux députés n'ont pas pris part au scrutin.
Les députés d'opposition ont laissé éclater leur joie, poings levés, formant une mêlée aux couleurs du Brésil, vert et jaune, autour de l'élu qui a fourni le 342e vote décisif, sur 513 députés, après plusieurs heures de vote.
Dans les deux plus grandes villes du pays, Sao Paulo et Rio de Janeiro, des feux d'artifice ont éclairé le ciel nocturne tandis que des concerts de klaxons résonnaient.
Il revient désormais au Sénat de décider du sort de la présidente, accusée d'avoir maquillé les comptes publics pour favoriser sa réélection pour un second mandat de quatre ans en 2014.
Si le Sénat décide que la procédure peut se poursuivre, ce qui semble probable, Dilma Rousseff, progressivement lâchée par ses alliés ces dernières semaines, sera automatiquement suspendue et son vice-président Michel Temer exercera les fonctions de chef de l'Etat. En cas de confirmation de la destitution, Michel Temer restera à la tête du Brésil jusqu'à la fin prévue du mandat de Dilma Rousseff, soit 2018.
PAYS DIVISÉ
Cette bataille politique, qui intervient alors que le Brésil est plongé dans sa plus grave récession économique depuis les années 1930, a divisé ce pays de 200 millions d'habitants comme jamais depuis la fin de la dictature militaire en 1985.
Cette crise a en outre dégénéré en conflit ouvert entre Dilma Rousseff et Michel Temer, un centriste de 75 ans, ce qui devrait faire perdurer l'instabilité politique, quelle que soit l'issue de la procédure.
Après 13 années aux commandes du pays, le Parti des travailleurs a conservé le puissant soutien d'une partie des classes populaires, reconnaissantes de l'amélioration de la qualité de vie de dizaines de millions de personnes depuis l'accession à la présidence du mentor de Dilma Rousseff, Luiz Inacio Lula da Silva.
"La bataille va se poursuivre désormais dans les rues et au Sénat", a réagi José Guimaraes, chef de file des députés du PT. "Nous avons perdu parce que les fomenteurs de coup d'Etat étaient plus forts."
Outre les centaines de milliers de manifestants réunis par les pro- et les anti-Rousseff à travers le pays, des millions de Brésiliens ont suivi le vote des députés en direct à la télévision, dans des bars, chez eux ou sur des écrans géants installés dans les rues.
A Brasilia, une barrière de deux mètres de haut a été érigée sur plus d'un kilomètre pour séparer les deux rassemblements rivaux, symbole de la division du pays.
Dans une vidéo et une tribune publiée dans la presse avant le vote, Dilma Rousseff, première femme à diriger le plus grand pays d'Amérique latine, a démenti avoir commis des actes justifiant sa destitution, présentant la procédure visant à la chasser du pouvoir comme un "coup d'Etat" et "la plus grosse fraude juridique et politique" de l'histoire du Brésil.
CORRUPTION
Au-delà de l'accusation de manipulation des comptes publics, son pouvoir a aussi été affaibli par la récession économique et par l'affaire Petrobras, un dossier de corruption présumée à grande échelle impliquant le puissant groupe pétrolier public.
Ses partisans soulignent que le jeu d'écritures comptables qui lui est reproché est fréquemment utilisé par les élus au Brésil.
En votant, nombre d'élus d'opposition ont dénoncé la corruption et les difficultés économiques mais peu ont mentionné la question budgétaire.
Dilma Rousseff n'a pas été personnellement mise en cause par la justice dans le dossier Petrobras, contrairement à bon nombre des députés qui étaient appelés à se prononcer sur son sort, au premier rang desquels le président de la chambre, son ancien allié Eduardo Cunha. Selon le site d'information politique indépendant Congresso em Foco, plus de 300 députés sont visés par une enquête pour corruption, fraude ou infraction au code électoral.
Les milieux d'affaires brésiliens ont mis tout leur poids dans la bataille contre Dilma Rousseff, en misant sur Michel Temer pour restaurer la confiance des entrepreneurs et relancer l'économie.
Adriano Pires, patron de l'Institut brésilien des infrastructures, a déclaré qu'une mise à l'écart de Dilma Rousseff pourrait conduire à une libéralisation de l'important secteur pétrolier. Les syndicats craignent pour leur part des privatisations et des suppressions d'emplois.
Alors que les actions et la devise brésiliennes ont été récemment parmi les actifs les plus performants au monde dans la perspective d'une destitution de Dilma Rousseff, le vote des députés devrait renforcer cette tendance ce lundi sur les marchés financiers du Brésil.
(Avec les correspondants de Reuters au Brésil; Henri-Pierre André et Bertrand Boucey pour le service français)