par Barbara Goldberg
JERUSALEM (Reuters) - Les proches d'Elie Wiesel ont assisté dimanche à une cérémonie funèbre dans une synagogue de Manhattan, au lendemain de son décès, survenu à son domicile new-yorkais au terme d'une vie consacrée à la mémoire des victimes de la Shoah.
"Mon mari était un combattant", a déclaré Marion Wiesel. "Il s'est battu pour le souvenir des six millions de juifs qui ont péri pendant l'Holocauste et pour Israël. Il a mené quantité de batailles pour les victimes innocentes, quelles que soit leur origine et leur foi".
Né en Roumanie, l'écrivain et philosophe a été déporté à 15 ans dans le camp d'Auschwitz-Birkenau, ce qu'il raconte dans "La Nuit". Installé aux Etats-Unis, où il a mené une carrière universitaire, il a obtenu la nationalité américaine en 1968. Le prix Nobel de la paix lui a été décerné en 1986. Il était âgé de 87 ans.
"Nous, les survivants, avons perdu la voix de la mémoire et j'ai personnellement perdu un ami très proche", a déploré Abraham Foxman, ancien directeur de l'Anti-Defamation League, association américaine de lutte contre l'antisémitisme.
Dans la soirée, le One World Trade Center de New York devait être illuminé en bleu et blanc, les couleurs nationales israéliennes, pour rendre hommage au disparu.
"Que le souvenir d'Elie reste à jamais une bénédiction", dit Andrew Cuomo, gouverneur de l'Etat de New York, dans un communiqué.
En 1986, le comité Nobel a salué en lui "l'un des plus importants leaders et guides spirituels à l'époque où la violence, la répression et le racisme continuent à dominer le monde".
En France, où il a suivi ses études de journalisme à la Sorbonne, Elie Wiesel a été décoré en 1984 de la Légion d'honneur, avant d'être fait Grand-officier en 1990, puis Grand-croix en 2001.
"Elie Wiesel était l'élégance même, la grandeur, la générosité", dit Jack Lang, ancien ministre de la Culture, dans un communiqué diffusé samedi.
"Les horribles souffrances que la vie lui a infligées ont fait grandir en lui sa profonde humanité. Immense écrivain, il a su admirablement exprimer la densité de l’âme humaine. Son amour de la France le portait à écrire dans la langue française qu’il savourait avec passion", ajoute-t-il.
"JAMAIS JE N'OUBLIERAI CETTE NUIT"
Auteur de plusieurs dizaines de livres écrits en français, Elie Wiesel n'a jamais renoncé à son combat pour le souvenir de la Shoah. Reçu en 1985 à la Maison blanche, il avait tenté de dissuader le président Ronald Reagan d'aller déposer une couronne de fleurs dans un cimetière allemand où se trouvent les sépultures de plusieurs SS célèbres.
Proche de Barack Obama, il n'a pas non plus hésité à contester sa politique à l'égard d'Israël et s'est prononcé en faveur de la colonisation de Jérusalem-Est. Le président américain a salué samedi la mémoire "d'une des grandes voix morales de notre temps et, à bien des égards, la conscience du monde".
"Sa vie, et la force de son exemple, nous poussent à être meilleurs", poursuit-il dans un communiqué. "Face au mal, nous devons faire appel à notre capacité à faire le bien. Face à la haine, nous devons aimer."
Après la guerre, Elie Wiesel a attendu dix ans pour se lancer dans la rédaction de "La Nuit", premier volume d'une trilogie dont les deux autres volets sont intitulés "L'Aube" et "Le Jour".
"Jamais je n'oublierai cette nuit, la première nuit de camp, qui a fait de ma vie une nuit longue et sept fois verrouillée. Jamais je n'oublierai cette fumée", y écrit-il.
"Jamais je n'oublierai les petits visages des enfants dont j'avais vu les corps se transformer en volutes sous un azur muet. Jamais je n'oublierai ces flammes qui consumèrent pour toujours ma foi. Jamais je n'oublierai ce silence nocturne qui m'a privé pour l'éternité du désir de vivre".
(Avec Ari Rabinovitch, Jean-Philippe Lefief et Tangi Salaün pour le service français)