par Elizabeth Piper et Ben Blanchard
LONDRES/PEKIN (Reuters) - Les remous boursiers et monétaires provoqués vendredi par le vote des Britanniques en faveur du "Brexit" ont accru le sentiment d'inquiétude en Asie, où la Chine, le Japon et la Corée du Sud craignaient dimanche soir pour la stabilité financière internationale, à quelques heures de la réouverture des marchés.
En Grande-Bretagne, le conflit ouvert au sein des Tories a gagné la principale formation d'opposition, le Labour, dont neuf dirigeants ont ouvertement contesté le leadership de Jeremy Corbyn, lui reprochant de ne pas avoir défendu avec pugnacité l'idée du "Remain".
La fracture au sein des grands partis s'étend aussi au reste du pays: 3,2 millions de Britanniques avaient signé dimanche après-midi une pétition appelant à un nouveau référendum, et un sondage réalisé vendredi montre que les Ecossais se prononceraient désormais à 59% pour l'indépendance.
La Première ministre d'Ecosse, Nicola Sturgeon, a même évoqué la possibilité de s'opposer aux lois qu'adopteront les députés britanniques pour officialiser le retrait du Royaume-Uni de l'UE.
Vendredi, les marchés financiers mondiaux ont perdu en valeur plus de 2.000 milliards de dollars (1.800 milliards d'euros) et la livre sterling a cédé jusqu'à 10% face au dollar, atteignant son plus bas niveau depuis 1985. Le week-end a apporté un certain répit après ces remous, mais l'appréhension est vite remontée à l'approche de la réouverture des Bourses lundi matin.
Pour le ministre chinois des Finances, Lou Jiwei, il ne fait pas de doute que l'issue du référendum "va porter une ombre sur l'économie mondiale".
"Il est difficile de faire des prévisions à ce stade", a-t-il dit lors de la première réunion annuelle de la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures, à Pékin.
INITIATIVE FRANCO-ALLEMANDE
"La réaction des marchés est probablement un peu excessive et il faut qu'ils se calment et voient la situation objectivement", a ajouté le ministre.
Les banquiers centraux ont promis au cours du week-end de faire tout ce qui serait en leur pouvoir pour contenir la volatilité des marchés financiers. Mais le Japon n'a pas caché qu'il redoutait des retombées sur les marchés des changes.
"Les mouvements spéculatifs violents ont des effets extrêmement négatifs", a dit Tomomi Inada, un des hauts responsables du Parti libéral-démocrate (PLD) au pouvoir, cité le journal Nikkei. "Si nécessaire, le gouvernement ne doit pas hésiter à riposter, y compris en intervenant sur les marchés des changes."
Le ministre sud-coréen des Finances a déclaré pour sa part craindre que la volatilité ne continue de régner sur les marchés jusqu'à la fin des négociations sur la sortie du Royaume-Uni.
Quant aux Etats-Unis, qui avant le référendum avaient clairement dit leur préférence pour le "Remain" (maintien), ils montrent eux aussi des signes de fébrilité. Le secrétaire d'Etat américain, John Kerry, doit rencontrer lundi à Bruxelles Federica Mogherini, haute Représentante de l'Union européenne pour la politique étrangère et de sécurité commune, et voir à Londres le secrétaire au Foreign Office, Philip Hammond.
Avant le sommet européen qui se tiendra mardi et mercredi à Bruxelles, la France et l'Allemagne ont plaidé ce week-end pour une "Europe forte" et proposé une série de mesures pour aider l'UE, "sévèrement mise à l'épreuve" par le vote britannique, à répondre mieux aux attentes de ses citoyens.
Dans une déclaration commune consultée par Reuters, les ministres des Affaires étrangères Jean-Marc Ayrault et Frank-Walter Steinmeier prennent acte "avec regret" de ce vote.
LE FPÖ AUTRICHIEN ÉVOQUE L'IDÉE D'UN "AUXIT"
Paris et Berlin avaient paru diverger samedi sur le rythme à suivre dans la procédure de divorce entre Londres et l'UE, Paris prônant la rapidité tandis que Berlin se montrait plus prudent.
David Cameron a annoncé son intention de démissionner d'ici octobre mais refuse d'invoquer formellement l'article 50 du Traité de Lisbonne, qui prévoit un délai de deux années de négociations en cas de sortie d'un pays. Il laisse le soin d'invoquer cet article à son successeur, qui devra être désigné par le Parti conservateur à un moment ou l'autre avant son congrès annuel du mois d'octobre.
C'est seulement lorsque le nouveau Premier ministre aura invoqué l'article 50 que la procédure de divorce Royaume-Uni-UE pourra être engagée.
Le vice-chancelier et ministre allemand de l'Economie Sigmar Gabriel a été clair dimanche dans les colonnes du journal financier Handelsblatt: "Les Britanniques ont décidé de partir. Nous ne discuterons pas de ce que l'UE pourrait encore proposer aux Britanniques pour qu'ils restent".
Un proche de la chancelière Angela Merkel, le chrétien-démocrate Peter Altmayer, a suggéré aux Britanniques de bien réfléchir aux conséquences du Brexit. A Londres, Philip Hammond a lui-même estimé que la perte de l'accès au marché unique européen serait "catastrophique" pour le Royaume-Uni.
Dans le reste de l'Europe, l'issue du référendum continue de suggérer des idées à des formations de droite nationaliste: en Autriche, une figure du FPÖ, Norbert Hofer, qui a failli remporté la présidentielle le mois dernier, a estimé que l'UE devait se garder de toute décision menant à un surcroît de "centralisation" politique, faute de quoi l'Autriche pourrait organiser d'ici un an un référendum sur la question de son maintien dans le bloc européen.
(avec Christine Kim, Donny Kwok, Estelle Shirbon, William Schomberg, Minami Funakoshi, Francois Murphy et Warren Strobel; Eric Faye pour le service français, édité par Marc Angrand)