par Emmanuel Jarry
PARIS (Reuters) - L'attentat de Nice, sanglant contrepoint à l'Euro de football et à l'annonce peu avant de la levée imminente de l'état d'urgence par François Hollande, a relancé un débat sur la responsabilité des pouvoirs publics sur fond de pré-campagne présidentielle.
En janvier 2015, les attaques djihadistes contre Charlie Hebdo et un supermarché juif avaient provoqué un réflexe d'union sacrée qui avait survécu un moment aux rivalités politiques. Dans la foulée des attentats plus meurtriers encore du 13 novembre à Paris et Saint-Denis, l'unité nationale n'avait tenu que quelques jours, à peine plus que le temps d'un discours du chef de l'Etat au Parlement réuni en Congrès à Versailles.
Après ce nouveau "Bataclan", un semi-remorque lancé dans la foule sur la Promenade des Anglais après le traditionnel feu d'artifice du 14-Juillet (84 morts) par un homme apparemment seul, les accusations ont été immédiates.
"Il y a des questions auxquelles il faudra répondre", a déclaré le président Les Républicains de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et ancien maire de Nice, Christian Estrosi :
"Combien de policiers nationaux étaient en poste et quels sont les moyens qui avaient été mis en oeuvre, alors que notre pays est encore en état d'urgence, pour éviter cela ?"
Il a fait savoir qu'il avait écrit la veille de l'attentat au chef de l'Etat pour réclamer un "grand plan d'urgence" pour renforcer les moyens de forces de l'ordre épuisées par 18 mois de mobilisation non stop et victimes d'un "climat de haine".
"Si tous les moyens avaient été pris, le drame n’aurait pas eu lieu", a renchéri sur RTL le maire de Bordeaux, Alain Juppé, candidat à la primaire de droite pour la présidentielle d'avril-mai 2017, pour qui "il faut faire plus" et "mieux".
Le soulagement exprimé par les dirigeants français après le bon déroulement, malgré l'assassinat de deux policiers le 13 juin revendiqué par l'Etat islamique, d'un Euro de football sous très haute surveillance, aura été de courte durée.
LA DROITE POUSSE À L'ACTION
Dans son interview télévisée du 14 juillet, François Hollande avait confirmé la levée à la fin du mois de l'état d'urgence décrété après les attentats du 13 novembre et un allègement du dispositif militaire Sentinelle.
Douze heures plus tard, il faisait machine arrière et annonçait la reconduction de l'état d'urgence pour trois mois et le maintien de l'opération Sentinelle à un haut niveau.
Des mesures jugées insuffisantes par l'opposition de droite, qui s'appuie notamment sur le rapport rendu public au début du mois par une commission d'enquête parlementaire sur la lutte contre le terrorisme, présidée par le député LR Georges Fenech.
Alain Juppé demande ainsi la mise en oeuvre immédiate de ses recommandations. Exigence partagée par un de ses rivaux, l'ex-Premier ministre François Fillon, tandis que l'ancien chef de l'Etat Nicolas Sarkozy, autre candidat probable à la primaire, a annoncé la réunion d'un bureau extraordinaire de LR lundi.
"Il est grand temps de passer à l'action", a renchéri le député LR Pierre Lellouche. "La France ne peut pas continuer à subir une guerre sans la mener pleinement."
A l'extrême droite, la présidente du Front national, Marine Le Pen, accuse le gouvernement de n'avoir rien fait contre le fondamentalisme islamiste, dans des déclarations publiées par le site internet du Figaro : "Maintenant, ça commence à bien faire !"
Ces propos des uns et des autres font bondir le député socialiste Sébastien Pietrasanta, spécialiste de la lutte anti-terroriste et rapporteur de la commission parlementaire.
"Comment voulez-vous qu'un type ni fiché, ni connu comme radical, qui passe à l'acte avec un 18 tonnes, puisse être appréhendé par les services de renseignement ?" a-t-il dit à Reuters. "Quelle est la mesure proposée par la commission qui aurait empêché cet acte ? Aucune."
Cet élu qualifie de "vautours" les dirigeants de droite qui s'emparent de l'attentat de Nice pour critiquer le gouvernement et dénonce des "réactions malsaines" alimentées, selon lui, par une "course à la surenchère" des dirigeants de LR.
RESPONSABILITÉ PARTAGÉE
Il estime que les municipalités ont aussi une responsabilité dans la sécurité des manifestations qu'elles organisent. Un avis partagé par le secrétaire général d'Alternative Police-CFDT.
"On peut se demander pourquoi le camion a pu passer", a déclaré à Reuters Denis Jacob. "Mais s'il y a une faille, la responsablité est partagée. Nice est une des villes les plus vidéo-surveillées de France, avec une des plus grandes polices municipales, qui plus est armée."
"Et quand bien même on déploierait les militaires, un fou peut prendre un camion et foncer dans la foule n'importe où à n'importe quel moment et faire autant de morts", a-t-il ajouté.
S'il plaide pour la création d'une grande direction du renseignement pour améliorer la coordination des différents services existants, il juge "malsain de faire de la récupération politique à quelques mois de la présidentielle".
"La police n'a pas envie d'être prise entre le marteau et l'enclume dans un débat purement politicien", ajoute-t-il. Or, "ça fait un moment qu'on manipule les questions de sécurité, les policiers et les gendarmes dans un but électoral."
Sur place à Nice, François Hollande a riposté aux critiques de la droite en rappelant qu'il avait renforcé ces derniers mois des effectifs "parfois dégradés dans le passé".
"Nous continuerons à mettre notre vigilance et notre protection au service des Français", a-t-il dit. "C'est ma responsabilité (...) de ne pas m'abaisser à je ne sais quelle outrance (...) quand il s'agit de répondre (...) aux défis qui nous sont lancés en y mettant tous les moyens nécessaires."
Le chef de l'Etat risque cependant d'être aussi la cible de critiques sur son aile gauche, comme le montre une réaction d'Europe-Ecologie-Les Verts au prolongement de l'état d'urgence.
"Prolonger un état d’urgence qui limite les libertés individuelles et monopolise des forces de l’ordre épuisées par des mois d’occupation du terrain, sans malheureusement pouvoir garantir un risque zéro, ne constitue plus une réponse", dit EELV dans un communiqué.
(Avec Emile Picy, Simon Carraud et Marine Pennetier, édité par Sophie Louet)