par Emmanuel Jarry
PARIS (Reuters) - Le groupe Etat islamique (Daech) a revendiqué samedi l'attaque meurtrière au camion frigorifique perpétrée à Nice jeudi soir par un Tunisien de 31 ans dont la femme et "quatre relations présumées" ont été placées en garde à vue.
Selon le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, les témoignages recueillis par les enquêteurs attestent d'une radicalisation récente et rapide de Mohamed Lahouaiej Bouhlel, jusqu'ici inconnu des services de renseignement.
Daech a attendu plus de 36 heures avant de revendiquer cette attaque qui a fait 84 morts et de nombreux blessés sur la Promenade des Anglais, via son agence de communication Amaq.
Les services français vérifient l'authenticité de cette revendication, dit-on au ministère de l'Intérieur.
"L'homme qui a mené l'opération à Nice, en France, visant à renverser des passants, était un soldat de l'Etat islamique", écrit Amaq, voie habituelle du groupe djihadiste en pareil cas.
"Il a mené cette opération afin de répondre aux appels à frapper des ressortissants de pays prenant part à la coalition combattant l'Etat islamique", ajoute l'agence.
Le procureur François Molins, responsable de l'enquête, avait déclaré vendredi que l'attaque de Nice, dont l'auteur a été abattu par la police au terme de sa course meurtrière, portait la marque de l'extrémisme islamique.
"Nous sommes face à un attentat d'un type nouveau", a pour sa part dit le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, après un conseil de défense restreint suivi d'une réunion du gouvernement autour du chef de l'Etat, François Hollande.
"L'individu qui a commis ce crime absolument abject (...) ne s'était pas distingué au cours des années passées (...) par une adhésion à l'idéologie islamiste radicale", a-t-il ajouté. "Il semble qu'il se soit radicalisé très rapidement."
CINQ GARDES À VUE
C'est en tout cas ce qui ressort des témoignages de son entourage, a précisé Bernard Cazeneuve.
Trois hommes ont été arrêtés samedi matin à Nice dans le cadre de l'enquête, ce qui porte à cinq le nombre de personnes en garde à vue, dont la femme du tueur et un autre homme, interpellés vendredi, a-t-on précisé de source judiciaire.
Les quatre hommes sont "des relations présumées" de ce chauffeur-livreur, père de trois enfants mais séparé de sa femme.
Un officier de police présent lors d'une des arrestation de samedi a précisé à Reuters qu'il s'agissait de "l'entourage proche" du tueur. Les enquêteurs cherchent aussi à déterminer si Mohamed Lahouaiej Bouhlel a pu bénéficier de complicités.
Interrogé en Tunisie par des médias français, son père a apporté une touche supplémentaire au portrait de cet homme décrit comme violent et au profil de petit délinquant.
Au début des années 2000, avant sa venue en France, "il avait des problèmes qui ont provoqué une dépression nerveuse, il devenait colérique, il criait, il cassait tout ce qui se trouvait devant lui. Nous l'avons amené chez le médecin", a dit Mohamed Mondher Lahouaiej Boulhel à des chaînes de télévision.
Sa soeur, Rabeb Bouhlel, a confirmé à Reuters qu'il avait des "problèmes psychologiques" et "avait vu des psychologues pendant plusieurs années".
Elle a précisé qu'il s'était mis depuis un mois à téléphoner tous les jours et à envoyer de l'argent à sa famille en Tunisie mais qu'elle n'avait pas décelé de signe de radicalisation.
Pour l'avocat du tueur, Corentin Delobel, interrogé par France 2, "c'était la petite frappe" et "rien ne laissait transparaître (...) un fanatisme religieux particulier".
HOLLANDE MODIFIE SON AGENDA
Sur le plan politique, élus et dirigeants du parti Les Républicains ont continué samedi à mettre en cause la responsabilité du gouvernement.
La présidente du Front National, Marine Le Pen, a pour sa part dénoncé des "carences gravissimes de l'Etat", lors d'une déclaration au siège du parti d'extrême droite. Elle a estimé que "dans n'importe quel autre pays du monde", le ministre de l'Intérieur aurait démissionné
Devant les ministres réunis à l'Elysée, le chef de l'Etat a pour sa part dénoncé des "tentations de diviser" le pays et lancé un nouvel appel à l'unité nationale, a rapporté le porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll.
Compte tenu de l'actualité, François Hollande a allégé la tournée qu'il devait entreprendre cette semaine en Europe. Il ira bien au Portugal mardi et en Irlande jeudi mais a annulé les étapes de mercredi en République tchèque, en Autriche et en Slovaquie, préférant rester en France ce jour-là, dit-on à l'Elysée.
Le projet de loi prolongeant l'état d'urgence décrété il y a huit mois sera examiné mardi en conseil des ministres, puis, le soir, par les députés et le lendemain au Sénat.
Selon une source parlementaire, une minute de silence en mémoire des victimes de Nice sera observée dans tout le pays lundi à midi.
A Nice, la Promenade des Anglais a été rouverte samedi au public mais l'ambiance restait morose et les plages voisines ne connaissaient pas l'affluence estivale habituelle, au grand dam des plagistes et commerçants.
"On a beaucoup moins de clients et c'est ça que cherchent les terroristes. C'est la pire saison depuis longtemps", se plaignait William, employé de la plage privée du Galion.
(Avec Marine Pennetier, Simon Carraud, Emile Picy et Michel Rose à Paris, Michel Bernouin, Richard Lough et Sophie Sassard à Nice, Omar Fahmy au Caire et Tarek Amara à Tunis)