par Robin Emmott et Alastair Macdonald
BRUXELLES (Reuters) - L'échec de la tentative de coup d'Etat en Turquie a été accueilli avec soulagement dans les chancelleries européennes, où l'on compte toujours sur le concours d'Ankara pour endiguer le flux de migrants prenant le chemin de l'Europe.
Mais si certains dirigeants européens espèrent que ce coup de force raté incite le président Recep Tayyip Erdogan à desserrer son emprise sur le pays, beaucoup craignent qu'il ne durcisse au contraire la répression contre l'opposition au risque de menacer la survie de l'accord conclu en mars.
"Erdogan sera jugé sur sa réponse (à la tentative de coup d'Etat)", dit un responsable européen, évoquant les arrestations de magistrats qui justifient que l'on "s'inquiète d'un risque de voir une nouvelle fois la liberté d'expression et le droit de manifester foulés aux pieds."
Certaines personnalités du Parlement européen, où l'accord conclu avec la Turquie a parfois été accueilli avec amertume, ne cachent pas leurs doutes sur les perspectives de la démocratie turque.
"Erdogan va essayer d'étendre son pouvoir", a déclaré au journal allemand Die Welt Elmar Brok, président de la Commission des Affaires étrangères du Parlement européen et proche de la chancelière Angela Merkel, présentée comme l'architecte de l'accord entre l'UE et la Turquie.
Le président français, François Hollande, a dit quant à lui s'attendre à une "répression".
Si Recep Tayyip Erdogan oeuvre au rétablissement de la peine de mort, comme ses partisans l'ont réclamé samedi lors d'un rassemblement à Istanbul, ou si les députés kurdes privés en mai de leur immunité parlementaire sont emprisonnés, les parlementaires européens pourraient se retourner contre l'accord, préviennent plusieurs responsables européens.
La Turquie a de son côté dit qu'elle laisserait les migrants reprendre la route de l'Europe si l'accord conclu avec l'UE était remis en question. Or, l'afflux de migrants en 2015 a mis à mal le soutien des Européens envers l'UE et, estiment certains, il a apporté du grain à moudre au camp du Brexit, qui a remporté le référendum du 23 juin en Grande-Bretagne.
PAS DE "CHÈQUE EN BLANC"
Dans la foulée de la tentative de coup d'Etat, les dirigeants européens ont exprimé leur soutien à l'égard d'une démocratie que le président turc a pourtant maltraitée a plusieurs reprises.
"L'Union européenne soutient totalement le gouvernement démocratiquement élu", lit-on dans un communiqué publié au cours de la nuit de vendredi à samedi tout en prenant soin de soutenir également "les institutions du pays et l'Etat de droit".
Alors que la tentative de coup d'Etat semblait déjà avortée, la Haute Représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Federica Mogherini, appelait "au retour de l'ordre constitutionnel, à l'équilibre des pouvoirs (...) et des libertés fondamentales", et cet appel semblait davantage dirigé à Erdogan qu'aux putschistes.
"La question n'est pas de savoir s'il faut ou non soutenir Erdogan, mais de soutenir la loi et la démocratie", a dit à Reuters un responsable européen impliqué dans les négociations avec Ankara.
Les Européens ont rappelé à leurs homologues turcs que leur coopération passée, par le biais de réformes lancées par Ankara dans l'espoir d'une adhésion future à l'UE, avait aidé Erdogan et son parti, l'AKP, à faire reculer la vieille menace que faisait planer l'armée sur les gouvernements civils.
Désormais, c'est la question du rapprochement économique entre Ankara et l'UE qui est en jeu, dit un autre responsable européen en insistant sur le fait que les Européens pourraient se servir de ce moyen de pression.
"Il ne s'agit pas d'un chèque en blanc fait à Erdogan", explique-t-il dit à propos du soutien apporté aux autorités d'Ankara après l'échec du putsch. "Il doit absolument veiller à ne pas réagir par l'excès".
"Erdogan n'est pas Poutine. Il n'est pas aussi puissant. Nous devons le maintenir sur la voie de la démocratie", renchérit un troisième responsable européen.
(Nicolas Delame et Eric Faye pour le service français)