par Paul Ortoli
AJACCIO, Corse-du-Sud (Reuters) - Ajaccio, qui se revendique "cité impériale" pour avoir vu naître Napoléon Bonaparte il y a 250 ans, le 15 août 1769, s’apprête à commémorer cet anniversaire afin de redorer la légende d'un dirigeant dont l'image est ternie en France et dans le monde.
Expositions, défilés en costumes d’époque, reconstitution de la bataille d’Austerlitz, bals d’Empire : la municipalité promet des festivités dignes de l’Empereur. Mais on est loin du faste du bicentenaire, lorsque le président Georges Pompidou s’était déplacé personnellement pour inaugurer des fêtes mémorables.
Hormis quelques associations qui perpétuent sa mémoire, l’Empereur, qui a mis l'Europe à feu et à sang pendant son règne, est devenu persona non grata dans les manuels d’Histoire.
"Quand on évoque son nom, il y a à présent de la frilosité", dit à Reuters Antoine-Marie Graziani, professeur à l’université de Corse. "On se souvient que le président Jacques Chirac n’avait pas commémoré en 2004 les deux cents ans de la bataille d’Austerlitz", où Napoléon défit les troupes austro-russes.
Selon l’historien, le coup fatidique a été porté par le bicentenaire du rétablissement de l’esclavage en 2002.
"On le pense depuis comme un dictateur, il est réduit dans l’enseignement aujourd’hui à un continuateur de la Révolution française, un Napoléon rébarbatif et il y a un fort désamour autour de lui d’une partie de la gauche et de la droite."
Même en Corse, l'image de l'enfant du pays s'était dégradée.
Décrié pour la répression féroce qu’il ordonna via Morand, son préfet dépêché dans l’île, l’empereur des Français a longtemps été l’une des bêtes noires des nationalistes corses,
"La IIIe République avait gommé le bonapartisme et, plus près du nous, l’idéologie nationaliste aussi", estime le maire d'Ajaccio Laurent Marcangeli.
REGAIN D'INTÉRÊT
Mais les signes de regain d'intérêt se multiplient.
Laurent Marcangeli a annoncé lors de la campagne municipale de 2014 son intention de fonder "un vrai projet napoléonien, via une stratégie patrimoniale, économique et culturelle" dans une bourgade longtemps dirigée au siècle dernier par le comité central bonapartiste (CCB), parti politique créé en 1908.
"Il n’y aura pas de remake des célébrations des années 60 mais Napoléon est un mythe : il doit reprendre toute sa place et c’est la raison pour laquelle un musée moderne et didactique portant son nom est en chantier", explique l’édile.
Le président de l’assemblée de Corse, l’indépendantiste Jean-Guy Talamoni lui a apporté un soutien inattendu.
"Intégrer Napoléon Bonaparte à l’histoire corse est quelque chose d’évident, même si le père de la patrie corse est Pascal Paoli", a-t-il dit à Reuters.
Il rappelle dans son ouvrage "Le Républicanisme corse" que le jeune Bonaparte était "anti-français à 20 ans" et qu’il admirait le général Paoli, chassé du pouvoir par les troupes de Louis XV, en 1769, après quinze ans d’indépendance de l’île.
"Chez nous, dans les années 60, la pensée simplifiante faisait de Napoléon le traître et de Paoli le héros, mais les choses sont plus complexes : Paoli lui-même disait dans son exil londonien que l’épopée napoléonienne avait permis aux Corses d’avoir une certaine fierté : on ne peut pas être plus paoliste que Paoli!", poursuit Jean-Guy Talamoni.
"NAPOLÉON, C'EST LA GLOIRE"
Recensant soixante-dix noms de rues, avenues, places ou lieux reliés à la famille Bonaparte dans son Guide Napoléon, Philippe Perfettini, animateur du patrimoine, oeuvre au quotidien à faire connaître l’homme.
"Il faut que les Ajacciens apprennent leur histoire napoléonienne et se l’approprient, cela passe notamment par l’éducation", explique-t-il à Reuters.
La maison natale des Bonaparte, située dans la ville génoise, a dépassé, selon son conservateur Jean-Marc Olivesi, le cap des 100.000 visiteurs l’an dernier, faisant d’elle selon lui "le musée le plus fréquenté de l’île".
"A Ajaccio, comme toute ville gâtée, on s’est contenté de donner des noms de rues, mais on ne s’est jamais occupé du souvenir napoléonien", dit André Villanova, président du CCB.
Les commerçants d’Ajaccio renouvellent l’image de l’Empereur, via des lignes de vêtements, des produits dérivés ou des bières arborant le célèbre bicorne, même si l’agence du tourisme de Corse ne dispose pas de données pour analyser de manière précise une fréquentation liée à la famille Bonaparte.
Antoine-Marie Graziani rappelle que son nom suscite toujours l’engouement à l’étranger et qu’il n’est pas prêt de sombrer dans les oubliettes de l’histoire: "On se souvient du mot de De Gaulle à Malraux : « Napoléon? C’est la gloire!"
(Edité par Yves Clarisse)