par Ingrid Melander et Gérard Bon
PARIS (Reuters) - La victoire du Brexit au Royaume-Uni est à double tranchant pour Marine Le Pen en vue de la présidentielle de 2017 : solide argument de campagne si les choses se passent bien, elle deviendrait un boulet si elles tournent à la catastrophe.
Dès l'annonce des résultats du référendum britannique, le 24 juin, la présidente du Front national s'est réjouie d'un vote "historique" qui valide à ses yeux son analyse et la méthode qu'elle défend depuis deux ans vis-à-vis de l'Europe.
"Regardez comme l'Histoire est belle quand la liberté se joue des pouvoirs en place et triomphe, portée par la volonté d'un peuple", a-t-elle déclaré le 28 juin devant le Parlement européen. "Pour mon pays, la France, je m'engage à le mener sur le chemin de la liberté."
En cas de victoire, Marine Le Pen entamerait des négociations avec ses partenaires européens pour que la France récupère sa souveraineté monétaire, budgétaire, territoriale et législative.
Au terme de ces négociations, elle soumettrait aux Français par référendum la question de décider de l'appartenance de la France à l'Union européenne, comme l'a fait le Royaume-Uni.
Dans Paris Match, la dirigeante du FN se félicite d'avoir "tenu bon", y compris "en interne" quand des doutes se faisaient entendre sur l'idée d'un "Frexit" et la sortie de l'euro.
Le Brexit "met le débat sur l'appartenance à l'Union européenne au coeur du débat politique français, au coeur du débat pour la prochaine présidentielle", estime le vice-président du FN, Florian Philippot.
"Cela montre aux Français qui veulent sortir de l'UE que c'est possible. On verra que ça s'est très bien passé", a-t-il dit à Reuters, jugeant que les turbulences seront passagères.
LE RISQUE D'ÊTRE PRIS EN DÉFAUT
Pour Jérôme Fourquet, directeur du département opinion publique à l'Ifop, "tout dépendra de la tournure que prendront les événements tant au Royaume-Uni qu'au niveau européen".
"Est-ce que ça se passera bien ? Est-ce qu'il y aura un bras de fer ? Si ça se passe bien, le FN peut en tirer profit, se trouver renforcé en montrant que reprendre le contrôle, ça marche", dit-il.
"Mais si c'est la guerre des tranchées, si les grandes banques déplacent leur siège du Royaume-Uni à Francfort ou ailleurs, si l'économie britannique en pâtit, l'argument du FN se trouvera complètement pris en défaut".
Le Royaume-Uni risque également d'être confronté aux velléités de départ de l'Ecosse et à une période d'instabilité politique due à la division de l'opinion publique.
"S'il y a une crise politique, les adversaires du FN pourront dire : 'Vous voyez, on vous le dit depuis des années, la sortie de l'UE prisée par Marine Le Pen, le Royaume-Uni en est un laboratoire et c'est un échec", dit Jérôme Fourquet.
Pour le sociologue Sylvain Crépon, de l'université François-Rabelais de Tours, le Brexit est "a priori plutôt bon pour Marine Le Pen parce que le FN peut dire qu'il est possible de voter pour sortir, et que le monde ne s'écroule pas".
"Les marchés reprennent après leurs pertes initiales, et après les premières divisions, le parti conservateur va se retrouver un leader", estime-t-il.
"L'actualité travaille pour le FN, encore une fois", et le Brexit est "une opportunité pour le parti d'extrême droite, qui va essayer de capitaliser là-dessus", ajoute Sylvain Crépon.
LE PEN NE VEUT PAS ÊTRE ANXIOGÈNE
La sortie de l'euro - grande différence avec le Royaume-Uni qui n'en est pas membre - n'est cependant "pas très majoritaire parmi les électeurs FN" et le parti "manque encore de crédibilité sur les questions économiques", souligne-t-il.
Pour Jérôme Fourquet, Marine Le Pen "sait que la sortie de l'euro et de l'Europe font peur", raison pour laquelle elle insiste sur le fait qu'elle mettra son projet en oeuvre "proprement" si elle est élue.
"C'est beaucoup moins anxiogène de dire 'on va en parler avec nos partenaires, ça se passera bien', et s'ils ne veulent pas, on appuiera sur le bouton".
Il souligne qu'en France, l'idéal européen est plus ancien qu'au Royaume-Uni et "qu'au mieux 37% des Français veulent la sortie de l'euro", à en croire les sondages.
Sylvain Crépon voit un autre facteur susceptible de bénéficier à Marine Le Pen : une victoire du président des Républicains (LR) Nicolas Sarkozy à la primaire de la droite.
"Si on repart sur un scénario Sarkozy-Hollande, ça va causer beaucoup de désappointement à droite comme à gauche, ça va profiter au FN", estime-t-il.
Néanmoins, pour le sociologue, Marine Le Pen "ne sera pas la prochaine présidente de la République" même s'il est "tout à fait envisageable qu'elle soit au second tour".
Selon un sondage Elabe pour Les Echos et Radio Classique publié le 22 juin, la présidente du FN se qualifierait dans tous les cas de figure pour le second tour avec 26% à 28% des suffrages, voire 30% si le candidat LR était Bruno Le Maire.
Le seul à même de la devancer au premier tour serait le candidat à la primaire de droite Alain Juppé, tandis que François Hollande, qui ne dépasserait pas 15%, serait éliminé.
(Edité par Yves Clarisse)