par Paul Ortoli
AJACCIO (Reuters) - Au lendemain de leur écrasante victoire électorale, les nationalistes corses, qui entameront bientôt un dialogue avec le gouvernement, ont estimé lundi que le contexte se prêtait à la satisfaction de leur revendication d'une pleine autonomie.
Le Premier ministre, Edouard Philippe, a adressé dimanche à Gilles Simeoni "un message de félicitations républicaines" et "lui a indiqué sa disponibilité pour le recevoir à Paris dès l'installation de la nouvelle collectivité", a déclaré l'entourage du chef du gouvernement.
Gilles Simeoni, président de l'exécutif sortant et grand vainqueur des élections, s'est montré satisfait.
"Il était indispensable que l'Etat ouvre un dialogue", a-t-il déclaré à Reuters.
Le "roi de Corse", comme la presse locale l'appelle, se prononce non pour l'indépendance, mais pour une "autonomie de plein droit et de plein exercice".
"Le contexte n'a jamais été aussi favorable pour régler la question corse par le haut", a-t-il expliqué. "Ce qui est prioritaire, c'est la reconnaissance par l'Etat du caractère politique de la question corse qui doit avoir nécessairement une solution politique."
Parmi les revendications figurent notamment le statut fiscal dérogatoire, l'établissement d'un statut de résident pour l'accession à la propriété, la coofficialité de la langue corse, le rapprochement, puis l'amnistie des prisonniers dits "politiques" (les militants nationalistes condamnés ou en attente de jugement devant la juridiction antiterroriste), mais aussi la reconnaissance du peuple corse, qui court le risque de l'inconstitutionnalité.
"C'est le début d'une nouvelle ère, la balle est dans le camp de l'Etat", a conclu le dirigeant nationaliste.
PAS DE DÉBAT SUR L'INDÉPENDANCE AVANT 10 ANS
Selon Corse-Matin, qui a rapporté l'échange téléphonique entre Gilles Simeoni et Edouard Philippe, le Premier ministre a rappelé le cadre (les "valeurs de la République") et dit que le "gouvernement sera (it) attentif à ce que la mise en place de la nouvelle collectivité de Corse permette à celle-ci de procéder le plein exercice de ses compétences, qui en font à ce jour une des plus décentralisées des métropole".
"Le gouvernement considère que la Corse peut être un terrain d'application privilégié du pacte girondin voulu par le président de la République", a-t-il ajouté selon le quotidien.
L'exécutif français n'a en réalité pas le choix, compte tenu de l'ampleur de la victoire nationaliste.
La liste Pè a Corsica conduite par Gilles Simeoni a rallié 56,46% des suffrages dans un scrutin marqué par une forte abstention (47,37%), avec à la clé une majorité absolue dans la future assemblée de Corse qui sera installée le 2 janvier 2018.
Quarante et un sièges de conseillers, sur les 63 que compte l'hémicycle sont d'ores et déjà acquis aux nationalistes qui empocheront également les 11 portefeuilles du conseil exécutif, une sorte de gouvernement à l'échelle régionale. Cette gouvernance absolue est une première dans l'histoire récente.
L'opposition se partage les miettes et, en plus, la droite siégera dans deux groupes distincts, ce qui achève sa division. La liste de La République en Marche termine sur la troisième marche du podium (12,67%) mais ne totalise que 6 sièges.
L'allié objectif de Gilles Simeoni dans cette campagne, l'indépendantiste Jean-Guy Talamoni, qui devrait être reconduit à la présidence de l'Assemblée, veut voir plus loin.
Pour Jean-Guy Talamoni, ce vote signifie que la rupture avec la France n'est "plus une question taboue".
"Les Corses ne sont plus effrayés par le débat sur l'indépendance, qui reste une option sur la table", a-t-il dit.
Mais la coalition Pè a Corsica, qui regroupe autonomistes et indépendantistes, comprend un contrat de mandature qui met entre parenthèses cette question pendant dix ans.
(Avec Jean-Baptiste Vey, édité par Yves Clarisse)