par Chine Labbé
PARIS (Reuters) - Les juges chargés de l'enquête sur l'assassinat, revendiqué par l'Etat islamique, d'un couple de policiers à Magnanville (Yvelines) cherchent à déterminer le réseau relationnel du djihadiste, Larossi Abballa, et de deux de ses proches, mis en examen dimanche.
Tous trois ont été condamnés, le 30 septembre 2013, pour leur participation à un réseau de recrutement et d'acheminement de candidats au djihad vers le Pakistan.
A ce stade, les magistrats n'ont pas retenu de complicité directe de Charaf-Din Aberouz, 29 ans, ni de Saad Rajraji, 27 ans, dans le meurtre de Jean-Baptiste Salvaing et Jessica Schneider.
Mais leurs fréquentations sont au coeur de l'enquête.
A l'été 2010, les deux hommes, présentés respectivement comme "l'émir" du groupe et "l'homme de confiance" du créateur de la cellule, sont les premiers recrutés.
Charaf-Din Aberouz et Saad Rajraji ont fait connaissance via Facebook (NASDAQ:FB), au gré de discussions portant sur la légitimité du djihad armé, les attentats suicide ou l'Afghanistan.
Tous deux avaient "la rage contre les Américains", comme l'expliquera Charaf-Din Aberouz aux enquêteurs.
En raison d'un "charisme" et d'une "autorité morale" évoqués par toute la bande, Charaf-Din Aberouz est rapidement nommé "émir". A ce titre, il définit les modalités pratiques des séances d'entraînement du groupe, dans des parcs à Argenteuil (Val-d'Oise) ou La Courneuve (Seine-Saint-Denis).
"FUTUR MOUJAHIDINE QUI AIME LE SANG"
Désigné "à l'unanimité" par les autres membres du groupe pour le premier -- et finalement unique -- envoi de "combattants" au Pakistan, il quitte la France le 23 janvier 2011 pour rejoindre Lahore via Bruxelles, aux côtés d'un autre homme, choisi en raison de ses origines pakistanaises.
C'est Charaf-Din Aberouz qui a initié les autres membres de la troupe à l'égorgement de lapins vivants, lors d'une séance organisée dans la forêt de Cormeilles-en-Parisis (Val-d'Oise).
Sur le ton de la plaisanterie, il expliquera par la suite à Saad Rajraji que la première fois qu'il a égorgé un animal, il avait tellement aimé cela qu'il voulait travailler dans un abattoir. Avant de se décrire comme "un futur moudjahidine qui aime le sang".
C'est aussi lui qui a favorisé le recrutement dans le groupe de Larossi Abballa, d'origine marocaine comme lui. Ils ont grandi dans le même immeuble et se connaissent depuis l'enfance.
Charaf-Din Aberouz sera finalement arrêté le 2 mai 2011, dès son arrivée en France, après avoir été expulsé du Pakistan.
Quant au Franco-Marocain Saad Rajraji, "émir" à son tour après le départ de Charaf-Din Aberouz pour le Pakistan, il se distingue en 2011 par son "prosélytisme spectaculaire" et son rôle privilégié dans le recrutement, d'après les juges.
C'est ainsi qu'il tentera de recruter deux jeunes de 16 ans, à Monaco et Caen (Calvados). "Il choisissait souvent des jeunes gens fragiles, parfois mineurs, qu'il entreprenait de convaincre de la légitimité du djihad", dit une source judiciaire. "Il leur demandait s'ils étaient prêts à mourir, évoquait les opérations martyres et leur justification au nom de la foi", ajoute-t-elle.
LE NOM DE FABIEN CLAIN SURGIT
Devant les enquêteurs, en 2011, les deux hommes ont nié catégoriquement toute intention de mener une action violente en France. Mais au moment de rendre leur jugement, en septembre 2013, les magistrats n'ont pas exclu cette possibilité.
"On forme un puzzle à nous tous, et la pièce maîtresse c'est toi, car tu as les commandes", disait le 20 février 2011 Larossi Abballa à Saad Rajraji.
Cinq ans plus tard, c'est un nouveau puzzle que les juges vont devoir assembler. En tentant notamment de mettre au jour les liens existant entre ces trois hommes et d'autres nébuleuses djihadistes.
L'email de Fabien Clain, qui a revendiqué les attentats du 13 novembre, a été retrouvé sur un bout de papier au domicile de Saad Rajraji, aux côtés de son numéro d'écrou, apprend-on de source judiciaire, confirmant une information de BFM TV.
Un éventuel lien entre Larossi Abballa et Sid Ahmed Ghlam, soupçonné d'avoir préparé un attentat contre une église en 2015, est aussi à l'étude, même si la connexion entre les deux hommes semble faible à ce stade, indique une source judiciaire. Abballa a été aperçu dans une camionnette en compagnie d'un homme soupçonné d'avoir apporté une aide logistique à Ghlam, d'après une source proche du dossier.
L'enquête s'attache par ailleurs à vérifier si Larossi Abballa connaissait l'une de ses victimes avant son passage à l'acte, lundi dernier. "Mais pour l'instant, on ne trouve pas", indique une source judiciaire.
(édité par Sophie Louet)