par Caroline Pailliez
PARIS (Reuters) - Les syndicats de magistrats dénoncent eux aussi le projet de réforme du Code du travail du gouvernement français, qui empiète selon eux sur le pouvoir d'appréciation des juges et déséquilibre le rapport de force entre employeurs et salariés.
Le gouvernement termine vendredi sa dernière semaine de concertation avec les partenaires sociaux sur l'épineuse question de la sécurisation des relations de travail, volet qui comprend notamment la mise en place d'un barème obligatoire sur les indemnités prud'homales pour les licenciements abusifs.
Les trois syndicats de magistrats (l'Union syndicale des magistrats, le syndicat national des magistrats FO et le Syndicat de la magistrature) se sont prononcés ces derniers jours contre cette mesure, qui ne permet pas, selon eux, de rendre pleinement justice au salarié.
"Instaurer des plafonds et des planchers (pour l'indemnisation-NDLR) intangibles porte gravement atteinte à la fonction même de juger", déclare l'Union syndicale des magistrats (USM), qui représente 70% des juges en France.
"La décision de justice (...) se prononce sur les moyens de réparer l'intégralité des préjudices subis en cas de manquement démontré. Des barèmes contraignants contreviennent à ces missions", dit l'USM, à l'instar des syndicats de salariés pour lesquels l'indemnisation ne peut être décidée par barème.
La mise en place d'un barème n'est qu'une des mesures envisagées par le gouvernement pour rendre les relations de travail plus prévisibles et faciliter les embauches.
UNE JUSTICE AVEC SES LIMITES
Pour le syndicat de la magistrature, la réduction des délais de recours au contentieux "prive le justiciable de l’accès à son juge", et la révision des critères de définition des licenciements économiques ne donne pas au magistrat "la capacité de déterminer le périmètre (...) dans lequel l’intensité des difficultés de l’entreprise doivent être appréciées".
Les syndicats de magistrats reconnaissent toutefois que la justice prud'homale montre ses limites. Les taux d'appel y sont de 62% et les délais de traitement de 14,7 mois, selon le ministère du Travail. Devant la lenteur des procédures, l'Etat a même été condamné à payer près de 1,4 million d'euros en 2013 pour déni de justice, rappelle l'USM.
Les patrons de petites entreprises, qui constituent la majorité des dossiers de contentieux aux prud'hommes, eux, voient d'un très bon oeil l'encadrement de ces pratiques.
"Le juge a un pouvoir d'appréciation des faits qui peut être exhorbitant", a déclaré Jean-Michel Pottier, vice-président de la CPME, leur organisation, à Reuters.
"Il est temps de sécuriser les rapports de travail et de restaurer la confiance. Ce n'est pas le Code du travail qui fait l'embauche mais il peut l'empêcher."
Pour Jean-Emmanuel Ray, professeur à l'Ecole de droit de la Sorbonne, le gouvernement ne cherche pas tant à limiter le pouvoir des juges qu'à fixer un nouveau cadre à un droit du travail édicté dans un contexte de croissance et de pénurie de main d'oeuvre.
"Le Code du travail a été pensé pendant les Trente Glorieuses. Les entreprises pouvaient alors permettre de financer des protections plus importantes" dit-il. Mais la résultante, c'est aussi que "le droit du travail est devenu très procédural".
"Dans les procédures, qui tombe dedans ? Jamais les grandes entreprises bien conseillées, car elles embauchent des juristes ou ont leurs avocats. Ce sont les PME et surtout les TPE. Or ce sont elles qui créent aujourd'hui de l'emploi."
(Edité par Yves Clarisse)