PARIS (Reuters) - Trois jours après l'accord conclu entre la Commission européenne et les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay), les opposants à ce traité de libre-échange fourbissent leurs armes en France et pourraient compliquer la donne pour Emmanuel Macron qui a donné un accord de principe à ce pacte controversé.
Signe de la sensibilité du sujet, le chef de l'Etat a annoncé samedi le lancement "dans les prochains jours" d'une "évaluation indépendante, complète, transparente de cet accord, notamment sur l'environnement et la biodiversité pour que le suivi soit effectif et partagé avec tous nos concitoyens".
"Je considère que cet accord à ce stade est bon compte tenu du fait que les demandes que nous avions formulées ont été intégralement prises en compte par les négociateurs" mais "nous serons très vigilants sur toutes les rédactions finales", a-t-il assuré en marge du G20 d'Osaka, au Japon.
Si les contours de la mission d'évaluation restent flous, son objectif, lui, est clair - désamorcer les critiques des éleveurs, déjà échaudés par la volonté de l'exécutif de ratifier "dans les meilleurs délais" un autre accord contesté de libre-échange - entre le Canada et l'UE, le CETA.
Mais la tâche s'annonce ardue.
"Cette accumulation de mauvaises décisions ou marques de mépris pour les éleveurs bovins viande et le modèle de production vertueux qu'ils s'efforcent de préserver en France a assez duré", a dit Bruno Dufayet, président de la fédération nationale bovine (FNB). "Un point de rupture a été atteint".
"Notre exaspération et notre colère, nous allons désormais dans les prochaines semaines et les prochains mois fortement l'exprimer", a-t-il ajouté ce week-end, sans donner plus de précisions sur la forme que cette exaspération prendrait.
Dans le collimateur des éleveurs français, l'arrivée de 99.000 tonnes de viande bovine par an - imposées au taux préférentiel de 7,5% - en provenance d'Amérique du Sud, qui est considérée comme une "concurrence déloyale".
"ÂNERIES"
Dès vendredi soir, des voix se sont élevées au sein même de la majorité présidentielle pour dénoncer cet accord qui doit encore être ratifié par l'ensemble des Etats membres et le Parlement européen avant d'entrer en vigueur.
"Les consommateurs et les agriculteurs méritaient plus de respect. En tant que député européen je ne peux pas l’approuver", a dénoncé Jeremy Decerle, ancien président des Jeunes agriculteurs (JA) et élu de la liste Renaissance (LaRem-MoDem).
Prenant soin de préciser qu'il s'exprimait "à titre personnel", le député LaRem Jean-Baptiste Moreau lui a emboîté le pas dans une interview au Monde publiée lundi matin.
"Cet accord est signé par une Commission européenne en bout de course, sur un mandat de travail qui date d’il y a vingt ans", fustige-t-il. "On a l’impression d’un passage en force. C’est cette Europe-là que les gens ont repoussée depuis des années. Cette Europe-là a provoqué le Brexit. Est-ce qu’on continue avec les mêmes âneries qu’on a faites depuis vingt ans ?"
A ce stade, "rien n'est acquis en matière de ratification par le Parlement européen", a prévenu de son côté l'écologiste Pascal Canfin, numéro deux de la liste Renaissance, sur RTL. "Et en ce qui concerne les 23 eurodéputés de la liste Renaissance, nous allons faire l'analyse et notre vote favorable à cet accord n'est pas acquis".
"TRIPLE PEINE"
A droite, la députée Les Républicains (LR) Nadia Ramassamy a dénoncé une "triple peine" : démocratique avec des accords "décidés en catimini", écologique et sanitaire avec des normes Mercosur "bien inférieures" aux normes européennes et économique avec une "concurrence déloyale".
Même tonalité dans les rangs des Verts où le député européen Yannick Jadot a dénoncé lundi "la duplicité du gouvernement qui prétendait" pendant la campagne européenne "que la France ne signerait pas l'accord du Mercosur".
"Honte à M. Macron qui a menti sur le Mercosur", a-t-il déclaré sur BFM TV.
Au-delà de la question des normes et de la concurrence, la politique environnementale brésilienne, notamment en matière de déforestation, sous la présidence de Jair Bolsonaro, est source de crispations. Certes, sous pression de la France qui menaçait de ne pas signer le pacte Mercosur-UE, le leader populiste brésilien a réaffirmé son engagement à l'accord de Paris sur le climat de 2015 lors du sommet du G20 à Osaka samedi. Mais les doutes persistent.
"Emmanuel Macron dit que grâce à la signature de l'accord, le Brésil ne sortira pas de l'accord de Paris", a indiqué Pascal Canfin. "Très bien si c'est le cas, il faut évidemment que ça s'évalue dans la durée et la réalité des politiques menées au Brésil".
"Toute l'ambiguïté de l'accord de Paris" réside dans le fait qu'"on peut très bien rester dedans sans le mettre en oeuvre", a-t-il ajouté.
L'ancien ministre de la Transition écologique et solidaire Nicolas Hulot, qui a quitté le gouvernement d'Edouard Philippe en août 2018, s'est voulu lui plus sévère. "Je ne vois pas comment on peut, sur un enjeu universel, signer un accord avec un pays qui bafoue, à ce point, ces objectifs", a-t-il tancé dans Le Monde dimanche. "Cela prouve qu’on n’a pas pris la mesure des choses et, surtout, qu’on est loin d’être dans la cohérence."
(Marine Pennetier, avec Emmanuel Jarry, édité par Yves Clarisse)