par Marine Pennetier
LE CAIRE (Reuters) - Emmanuel Macron a appelé lundi le président Abdel Fattah al Sissi à agir en faveur des droits de l'Homme en Egypte, soulignant que la stabilité de ce "pays ami" dans une région secouée par les crises allait de pair avec un Etat de droit.
Un an et demi après avoir refusé de donner à l'Egypte des "leçons" en la matière, le chef de l'Etat français a durci sensiblement le ton au deuxième jour de sa visite officielle au Caire où il a été reçu en grande pompe par son homologue.
"L'Egypte est une puissance régionale dont la stabilité est essentielle à nos yeux", a déclaré Emmanuel Macron à l'issue d'un entretien en tête à tête de deux heures avec le président égyptien. "La lutte que vous menez (contre le terrorisme) est très importante à nos yeux" et "je ne mésestime rien de toutes les difficultés de rebâtir un Etat, de développer une économie".
Mais "la stabilité et la paix durable vont de pair avec le respect des libertés de chacun, de la dignité de chacun et d'un Etat de droit, et la recherche de la stabilité (...) ne saurait être dissociée de la question des droits de l'Homme", a-t-il ajouté. "A l'inverse, une société civile dynamique, active, inclusive reste le meilleur rempart contre l'extrémisme."
"J'ai rappelé au président Sissi la portée des actes qu'il pourrait prendre s'agissant par exemple de l'action des ONG en Egypte (...) ou qu'il s'agisse de cas individuels ou sites internet bloqués. A cet égard, j'ai remis une liste de sujets qui me paraissent les plus évidents", a-t-il souligné, précisant qu'il rencontrerait mardi des membres de la société civile.
Le chef de l'Etat avait donné le ton dimanche, lors d'une rencontre avec des journalistes au Caire, où il avait estimé que la situation des droits de l'Homme avait empiré et était désormais perçue par les "intellectuels et la société civile" comme "pire" que sous Hosni Moubarak, l'ancien dirigeant renversé en 2011 lors du "printemps arabe".
"SPÉCIFICITÉ DE L'EGYPTE"
Allié "stratégique" de la France dans la lutte contre le terrorisme et dans la résolution des crises, l'Egypte connaît depuis l'arrivée de Sissi au pouvoir la "pire crise des droits humains de l'époque récente" selon les ONG.
Pointées du doigt, les autorités égyptiennes ont démenti détenir des prisonniers politiques et assurent que certaines mesures législatives, jugées liberticides, sont nécessaires pour lutter contre le terrorisme.
Une ligne réaffirmée par le président égyptien lundi qui, tout en évoquant un "dialogue positif" sur les droits de l'Homme, a assumé son désaccord, évoquant les menaces de déstabilisation et de la mise en place d'un "Etat religieux".
"Les blogueurs parlent un langage tout à fait différent de la réalité que nous vivons", a-t-il souligné, répondant à Emmanuel Macron qui s'était inquiété quelques minutes plus tôt de la détention de "blogueurs et journalistes".
La situation sociale en France, où l'exécutif est confronté depuis la mi-novembre au mouvement des "Gilets jaunes" qui revendique entre autres plus de démocratie citoyenne, s'est également invitée lors de la conférence de presse.
Interrogé sur le respect des droits de l'Homme lors de ces manifestations, Emmanuel Macron a balayé toute comparaison possible avec l'Egypte.
"Je déplore que onze personnes aient perdu la vie (...) bien souvent en raison de la bêtise humaine, mais aucun n'a été la victime des forces de l'ordre", a-t-il souligné. Lors de manifestations, "qui n'ont jamais été interdites", des individus ont également été interpellés "pas parce qu'ils disaient quelque chose, pas parce qu'ils pensaient quelque chose - interpellés parce qu'ils cassaient, détruisaient et s'attaquaient à d'autres citoyens ou aux institutions".
UNE TRENTAINE D'ACCORDS SIGNÉS
Ces dernières semaines, les ONG avaient accentué la pression sur Emmanuel Macron pour qu'il dénonce "les atteintes aux droits humains" en Égypte, "suspende les livraisons d’armes qui pourraient être utilisées pour commettre de telles violations" et demande la libération des "prisonniers injustement détenus".
La question du détournement de l'utilisation d'équipements militaires français par le régime égyptien avait également été soulevée en octobre par Amnesty International qui rapportait que des blindés fabriqués par Renault (PA:RENA) Trucks avaient été utilisés "dans certaines des opérations les plus sanglantes de la répression interne" entre 2012 et 2015.
"Il est très clair que pour nous l’utilisation de ces blindés est une utilisation qui doit être exclusivement militaire et c’est clair entre nous", a réagi Emmanuel Macron lundi.
Comme annoncé en amont par l'Elysée, aucun contrat militaire n'a été annoncé ou signé lors de ce déplacement - mais l'option d'achat sur 12 avions de combat Rafale pourrait, selon Paris, se finaliser "dans les prochaines semaines".
Une trentaine d’accords et contrats commerciaux ont toutefois été signés au Caire, dans les domaines du transport - notamment pour le métro du Caire - de l'agroalimentaire, de l'énergie, les télécoms ou encore de l'industrie, pour un montant de plus d'un milliard d'euros.
"Dans ce marché de 100 millions d'habitants, il y a un potentiel de croissance et de développement", a estimé Emmanuel Macron lundi soir avant de clore un forum économique franco-égyptien avec son homologue.
(Edité par Sophie Louet)