par Marine Pennetier
PARIS (Reuters) - Deux mois après son arrivée au pouvoir, Emmanuel Macron affronte sa première vraie crise avec la démission du chef d'état-major des armées, un fait sans précédent qui met en lumière pour la première fois les limites de sa politique et offre à ses opposants un angle d'attaque inespéré, estiment des analystes.
"Cette crise est révélatrice d'une contradiction implicite dans le macronisme", souligne Stéphane Rozès, président de CAP (Conseils, analyses et perspectives). "Dans son discours devant le Congrès, le chef de l'Etat a indiqué que son premier mandat était de rétablir la souveraineté nationale".
"Or cet épisode illustre la contradiction entre les besoins des armées - c'est-à-dire la souveraineté de la France - et la règle européenne d'un déficit inférieur à 3% du PIB."
Présentée ces derniers jours comme inéluctable, la démission du général de Villiers, actée mercredi, met fin à une semaine de bras de fer entre le chef de l'état-major et le président autour de la délicate question du budget.
En cause, la coupe budgétaire de 850 millions d'euros imposée au ministère de la Défense, qui a fait l'effet d'une douche froide à une armée très sollicitée et qui avait été sous le quinquennat précédent relativement épargnée.
La pilule est d'autant plus amère, notent les analystes, que le chef de l'Etat a multiplié, depuis son arrivée au pouvoir, les gestes à l'égard de militaires et a réaffirmé à plusieurs reprises - y compris mercredi - son engagement de campagne à porter à 2% du PIB le budget de la Défense d'ici 2025.
"Il y a un hiatus entre des promesses de campagne et les premières décisions", note Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion et stratégies de l'Ifop. "On a beau souligner que le budget va remonter l'année prochaine, il y a quand même une forme d'incohérence qui débouche sur une incompréhension ou sur de la suspicion de la part de l'opinion : est-ce que ces promesses ne sont pas des promesses en l'air?".
QUADRATURE DU CERCLE
Pour le politologue, "c'est peut-être une des premières fois que la théorie du 'en même temps' est prise en défaut. Il y a des annonces et des promesses qui sont formulées sur certains secteurs ciblés (...) et en même temps l'affirmation que les finances publiques vont être pilotées au cordeau. Ça s'apparente quand même à une espèce de quadrature du cercle".
Au-delà du ministère de la Défense, "on va dans les prochaines semaines voir se multiplier ces exemples où il va être très compliqué de mettre des moyens supplémentaires dans des ministères prioritaires ou d'avenir et en même temps serrer les cordons de la bourse pour respecter les critères européens".
Reste à savoir dans quelle mesure cet épisode, qui survient juste avant la trêve estivale et après une séquence diplomatique marquée par la venue de Donald Trump, d'Angela Merkel et de Benjamin Netanyahu, affectera l'image du chef de l'Etat.
"C'est une éventualité, c'est à l'occasion d'évènements comme celui-ci que l'opinion se forme et après il est très difficile de s'en défaire mais à l'heure actuelle il est trop tôt pour se prononcer, le processus est en train de s'écrire", estime Jérôme Fourquet.
FLÉTRISSURE DE L'IMAGE
Dans les sondages, depuis deux mois, le chef de l'Etat voit sa cote de popularité baisser. Selon une étude réalisée par BVA pour La Tribune et Orange et publié mercredi, il recueille 54% d'opinions favorables, en baisse de cinq points.
A l'Elysée, on se refuse à parler de "crise" et on souligne que les "Français seront juges".
"Ce qu'on constate c'est une flétrissure de l'image du président de la République", souligne le politologue Thomas Guénolé. "Ce qui ressort c'est qu'Emmanuel Macron, dans sa façon de gérer la situation, aurait confondu l'autorité avec l'autoritarisme et aurait été humiliant dans sa façon de procéder".
Jérôme Fourquet abonde. "Autant il a marqué des points sur la scène internationale et sur le plan intérieur en montrant qu'il y avait un patron à la barre, autant on peut se demander si l'opinion va considérer cet épisode comme un nouvel exemple de sa capacité à trancher ou un cas avéré d'autoritarisme et d'aveu de faiblesse parce que pris en défaut par rapport aux engagements pris".
Une brèche dans laquelle n'ont pas tardé à s'engouffrer les opposants politiques d'Emmanuel Macron. De Jean-Luc Mélenchon et Eric Woerth, tous ont dénoncé ces dernières heures l'"ivresse des sommets" et "l'autoritarisme" présumé du chef de l'Etat.
"Il y a une unanimité négative", constate Thomas Guénolé. "Même chez les macronistes en politique, qui d'habitude donnent l'impression d'être en pilote automatique, il y en a qui se sont désolidarisés d'Emmanuel Macron."
(Edité par Yves Clarisse)