par Tangi Salaün et Phil Stewart
PARIS/WASHINGTON (Reuters) - La ministre des Armées, Florence Parly, s'est efforcée lundi à Washington de convaincre son homologue américain Mark Esper de ne pas priver la France d'un soutien "essentiel" dans la lutte qu'elle livre depuis près de sept ans aux groupes djihadistes au Sahel.
Les responsables français ne cachent pas leur inquiétude face à la volonté affichée des Etats-Unis de "réorienter" les moyens consacrés depuis deux décennies à la "guerre contre le terrorisme" pour faire face aux menaces constituées selon eux par la Chine et la Russie.
"La réduction du soutien américain limiterait sérieusement l'efficacité de la lutte contre le terrorisme menée par la France au Sahel", a prévenu Florence Parly à l'issue d'un entretien avec Mark Esper au Pentagone.
Le soutien apporté par les Etats-Unis aux 4.700 soldats de l'opération Barkhane est "essentiel", a-t-elle martelé pendant une conférence de presse. Mark Esper lui a répondu qu'aucune décision n'avait encore été prise.
Washington fournit à partir de ses bases au Niger un support en matière de logistique, de ravitaillement aérien et surtout de surveillance avec des drones équipés d'un système d'interception des communications qu'ils sont à ce jour les seuls à pouvoir fournir.
"Je m'échine à éviter que les Américains s'en aillent", a confié la semaine dernière le chef d'état-major des Armées, le général François Lecointre.
Les militaires américains, a-t-il ajouté, "conviennent que cela n'aurait aucun sens" de se désengager alors que les groupes liés à Al Qaïda et à l'Etat islamique (EI) multiplient les attaques meurtrières dans la zone sahélo-saharienne.
"Il y a un risque réel de voir Daech reconstituer au Sahel le sanctuaire qu'il a perdu au Proche-Orient", insiste-t-on dans l'entourage de Florence Parly.
AGENDA ÉLECTORAL
La décision du Pentagone, attendue au plus tard en mars, risque cependant d'être influencée par l'agenda électoral d'un Donald Trump avide de prouver qu'il tient sa promesse de ramener des "boys" à la maison.
Or, le chef du Pentagone, Mark Esper, paraît moins enclin que le secrétaire d'Etat, Mike Pompeo, ou des parlementaires influents comme le sénateur Lindsey Graham, à s'opposer aux décisions souvent impulsives du locataire de la Maison blanche - comme l'a illustré le retrait précipité des soldats américains du nord de la Syrie en octobre.
Au Pentagone, Florence Parly a rappelé à Mark Esper que la France est un des partenaires les plus solides des Etats-Unis, que ce soit au Sahel, au sein de la coalition contre l'EI au Levant ou à l'Otan.
Un message qu'elle entendait répéter plus tard dans la journée lors des ses échanges avec le patron de la NSA, le général Paul Nakasone, puis avec le conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump, Robert O'Brien, qui devait la recevoir à la Maison blanche.
"Nous espérons que les Américains seront suffisamment lucides pour préserver ce partenariat (avec la France) et que le bon sens (sera) au rendez-vous", a commenté le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, lundi pendant ses voeux à la presse.
Lors d'un entretien téléphonique avec des journalistes il y a dix jours, le commandant des opérations américaines en Afrique (Africom), le général William Gayler, s'est dit confiant que la décision du Pentagone serait prise "en consultation et en coordination avec nos alliés européens".
Mais dans les faits, la "réorientation" des moyens déployés par les Etats-Unis en Afrique se fait déjà ressentir sur le terrain, notamment en matière de renseignement aérien, ont déclaré des responsables américains à Reuters.
BUDGET LIMITÉ
Selon l'un d'eux, les drones américains ont par exemple déjà cessé de survoler la région du lac Tchad, zone d'influence du groupe nigérian Boko Haram.
Un désengagement accru pourrait "plonger dans le noir" les soldats de Barkhane qui combattent l'Etat islamique au Grand Sahara (EIGS) et le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM), lié à Al Qaïda.
Pour tenter de l'éviter, Florence Parly a pu brandir un argument massue : avec un budget estimé à environ 45 millions de dollars par an, les Etats-Unis ne fournissent au Sahel qu'un "effort financier limité pour un effet maximal sur le terrain", souligne-t-on au ministère des Armées.
"Ce n'est pas le moment de se désengager mais au contraire de mettre le paquet dans tous les domaines", ajoute-t-on, en rappelant que cela passe par des efforts en matière de justice et de gouvernance des Etats du G5 Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad), qu'Emmanuel Macron a réunis à Pau le 13 janvier.
En attendant la décision américaine, la France a commencé à anticiper un retrait en décidant d'armer ses drones, qui ont mené leurs premières frappes fin décembre au Mali.
Six drones supplémentaires sont attendus au Niger d'ici la fin de l'année, ce qui portera à neuf le nombre d'appareils. Le général Lecointre a indiqué que l'armée disposerait à ce moment-là des mêmes moyens d'interception des communications que les Etats-Unis.
Paris cherche aussi à attirer de nouveaux partenaires. C'est dans cet esprit que Florence Parly s'est rendue la semaine dernière au Sahel avec trois de ses homologues européens.
(Avec John Irish à Paris, Idrees Ali à Washington et David Lewis à Nairobi; édité par Henri-Pierre André)