par Humeyra Pamuk et Nick Tattersall
ISTANBUL/ANKARA (Reuters) - Le pouvoir turc poursuit la reprise en main du pays, en particulier de l'armée et de la justice, après l'échec du putsch militaire de vendredi soir, et envisage désormais de rétablir la peine de mort pour les partisans du coup d'Etat.
Le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan assure contrôler totalement le territoire, même si des accrochages isolés ont encore été signalés dimanche, dans le deuxième aéroport d'Istanbul mais aussi dans une base aérienne du centre du pays.
Au total, plus de 290 personnes ont été tuées, dont une centaines de putschistes, et plus de 1.400 autres blessées dans les violences déclenchées vendredi soir, selon un bilan communiqué par le ministère turc des Affaires étrangères.
De nouvelles arrestations vont par ailleurs avoir lieu dans les rangs de l'armée et parmi les juges, en plus des quelque 6.000 déjà intervenues depuis l'échec du putsch, a dit le ministre de la Justice, Bekir Bozdag, cité par la chaîne NTV.
Ce faisant, les autorités se conforment à la volonté de Recep Tayyip Erdogan, lequel a promis un "nettoyage" de l'armée.
Sorti renforcé de cet épisode, le président turc a estimé dimanche que le pays ne pouvait plus différer le rétablissement de la peine capitale, abolie en 2004 pour satisfaire aux critères requis par l'Union européenne en vue d'une adhésion.
S'adressant à la foule de ses partisans qui, devant sa résidence d'Istanbul, réclamaient que soient exécutés les meneurs du coup d'Etat avorté, Recep Tayyip Erdogan a répondu : "Nous ne pouvons pas ignorer cette revendication".
Dans la nuit de samedi à dimanche, les partisans du chef de l'Etat ont occupé les places publiques, les abords de l'aéroport international d'Istanbul et du palais présidentiel pour dissuader toute nouvelle tentative de coup de force.
"PAS UN CHÈQUE EN BLANC"
Des responsables politiques européens ont prévenu le président Erdogan que l'échec du putsch ne lui donnait pas un chèque en blanc pour violer l'Etat de droit, et qu'il risquait d'isoler son pays sur la scène internationale en cherchant à renforcer son propre pouvoir.
"Pour l'avenir (..), nous voulons que l'Etat de droit fonctionne pleinement en Turquie, ce n'est pas un chèque en blanc à M. Erdogan", a déclaré dimanche Jean-Marc Ayrault, le chef de la diplomatie française.
Pour le commissaire européen Günther Oettinger, qui est politiquement proche de la chancelière Angela Merkel, toute répression dans les milieux de l'opposition turque contribuera à isoler Ankara sur la scène internationale.
Recep Tayyip Erdogan a clairement juré dimanche de continuer à éliminer de toutes les institutions de l'Etat le "virus" à l'origine de la tentative de putsch, allusion à son adversaire de longue date, Fethullah Gülen, un prédicateur en exil aux Etats-Unis. Cet ancien proche du chef de l'Etat a encore une fois balayé dimanche les accusations du pouvoir, qu'il a accusé d'avoir lui-même orchestré le coup d'Etat manqué.
"CONTRÔLE RÉTABLI"
Les autorités ont appréhendé près de 3.000 comploteurs dans les rangs de l'armée, du simple soldat jusqu'aux généraux, ainsi qu'un nombre équivalant parmi les juges et les procureurs.
Parmi les personnalités arrêtées figurent Ali Yazici, l'aide de camp de Recep Tayyip Erdogan, ainsi que le général Bekir Ercan Van, commandant de la base stratégique d'Incirlik, d'où sont lancées une partie des frappes aériennes visant le groupe djihadiste Etat islamique (EI) en Syrie et en Irak.
Le Pentagone a annoncé que les autorités turques avaient rouvert Incirlik aux avions militaires et que les opérations américaines avaient repris contre l'EI.
"Le contrôle de la Turquie est rétabli et on ne note pas d'affrontements en ce moment", a dit un haut responsable turc en ajoutant que quelques groupes de comploteurs étaient toujours retranchés à Istanbul, sans représenter cependant un danger.
Le Premier ministre, Binali Yildirim, a assuré dans une allocution télévisée que la vie avait repris un cours normal dans le pays.
Certains responsables européens s'inquiètent non seulement pour l'Etat de droit, mais aussi pour l'avenir de l'accord conclu en mars entre l'UE et Ankara, qui a permis de freiner drastiquement le nombre de migrants passant de Turquie en Grèce à bord d'embarcations.
Avant la réouverture des marchés lundi, le vice-Premier ministre turc Mehmet Simsek s'est employé à assurer que le gouvernement turc avait le total contrôle du système économique.
La banque centrale de Turquie a annoncé qu'elle fournirait de la liquidité illimitée aux banques et prendrait toute mesure qui s'imposerait pour préserver la stabilité financière le cas échéant. La banque centrale pourrait en particulier relever le plafond sur les dépôts en devises qui est actuellement de 50 milliards de dollars.
(Eric Faye et Simon Carraud pour le service français)