par Chine Labbé
PARIS (Reuters) - Le parquet de Paris a requis le renvoi en correctionnelle de France Télécom, rebaptisé Orange, et de son ex-patron Didier Lombard, pour harcèlement moral, dans l'enquête liée à une "vague" de suicides de salariés en 2008-2009, a-t-on appris jeudi de sources proches du dossier et judiciaire.
Le parquet a aussi requis le renvoi en correctionnelle de six autres ex-dirigeants de l'entreprise, pour harcèlement moral ou complicité de ce délit, a-t-on précisé, confirmant une information de France Inter.
Trois d'entre eux travaillent toujours chez Orange, apprend-on de source proche du dossier.
Ce réquisitoire, qui date du 22 juin, vient d'être notifié aux parties. Il appartiendra désormais aux juges d'instruction de décider s'ils renvoient l'entreprise et ses anciens dirigeants en procès, ou s'ils prononcent un non-lieu.
"Cet acte ne présume pas de la décision des juges", souligne un porte-parole d'Orange, se refusant à tout commentaire sur le fond du dossier.
L'avocat de Didier Lombard, Me Jean Veil, a dit ne pas souhaiter faire de commentaire en l'état, jugeant simplement le réquisitoire "d'une exceptionnelle innovation au plan juridique". Durant l'enquête, son client, qui a dirigé France Télécom de février 2005 à mars 2010, avant d'être remplacé par Stéphane Richard, a contesté les faits qui lui sont reprochés.
Didier Lombard, 74 ans, est actuellement présent au conseil d'administration de plusieurs sociétés françaises. S'il était poursuivi pour harcèlement moral, il encourrait un an de prison et 15.000 euros d'amende.
L'une des parties civiles, le syndicat CFE-CGC, a de son côté déploré des réquisitions "très réductrices".
"On est bien au-delà du harcèlement moral", a déclaré à Reuters son avocat, Me Frédéric Benoist, précisant qu'il demanderait la requalification des faits, pour y inclure la mise en danger de la vie d'autrui et l'homicide involontaire.
"AGISSEMENTS RÉPÉTÉS"
Ce sont les méthodes de gestion de l'entreprise, lors de sa réorganisation, au travers des plans NExT et ACT, qui sont visées par l'enquête des juges. Ces plans visaient à la suppression de 22.000 emplois, à la mobilité de 10.000 agents et au recrutement de 6.000 autres, d'après un rapport de l'Inspection du travail versé au dossier.
France Télécom est soupçonnée d'avoir mis en place "une politique d'entreprise visant à déstabiliser les salariés et agents, à créer un climat professionnel anxiogène", notamment via des "incitations répétées au départ", des "mobilités géographiques forcées", et un contrôle excessif et intrusif", indique une source proche du dossier.
"Les mis en examen ont commis des agissements répétés ayant pour effet une dégradation dangereuse des conditions de travail", ajoute-t-elle.
Plusieurs des victimes présumées du harcèlement reproché à France Télécom se sont suicidées ou ont tenté de se suicider. D'autres ont eu des arrêts maladie ou ont fait une dépression, dit une source proche du dossier. "Mais ces suicides, tentatives de suicide et problèmes de santé sont sans influence sur l'existence du harcèlement moral" tel que défini par le parquet, rapporte-t-elle.
D'après l'enquête des juges, la direction du groupe a été alertée "à plusieurs reprises" de l'existence de "risques psychosociaux", notamment par la médecine du travail, ajoute cette source.
Le syndicat Sud PTT a porté plainte dès 2009 contre la direction du groupe, dénonçant des "méthodes de gestion d'une extraordinaire brutalité", et évoquant une "épidémie" de suicides.
Une information judiciaire contre X a été ouverte le 8 avril 2010 sur cette affaire, puis des perquisitions ont été menées en 2012 au siège de France Télécom.
(édité par Yves Clarisse)