PARIS (Reuters) - Arnaud Montebourg et Benoît Hamon ont franchi une "ligne jaune" en émettant ce week-end des critiques contre les choix budgétaires du gouvernement et en fustigeant "la politique austéritaire" de l'Allemagne, estimait-on dimanche dans l'entourage de Manuel Valls.
Le ministre de l'Economie et le ministre de l'Education ont accentué ces 48 dernières heures la pression sur le couple exécutif, dont la popularité est au plus bas, pour l'inciter à "infléchir" sa politique économique et devenir le "moteur alternatif" de l'Europe, à l'heure où François Hollande s'apprête à faire une série d'annonces.
Réunis à l'occasion de la fête de la Rose à Frangy-en-Bresse (Saône-et-Loire), les deux représentants de l'aile gauche du PS au sein du gouvernement ont prononcé un plaidoyer offensif en faveur d'une réorientation économique, tout en assurant rester loyal au chef de l'Etat.
"La promesse de remettre en marche l'économie, de retrouver le chemin de la croissance, d'obtenir le plein emploi, elle n'a pas fonctionné, l'honnêteté oblige à le constater et à le dire", a déclaré Arnaud Montebourg devant un parterre de militants et d'élus.
"Le rôle du ministre de l'Economie, de tout responsable public, de tout homme d'Etat, est d'affronter la vérité même cruelle sans l'atténuer, sans la noircir, et de proposer des solutions alternatives", a-t-il ajouté sous les applaudissements.
Contacté par Reuters, l'Elysée n'a pas souhaité faire de commentaires. L'entourage de Manuel Valls a estimé pour sa part que les deux ministres avaient franchi une "ligne jaune" avec leurs déclarations sur la politique économique et "sur le partenaire européen qu'est l'Allemagne qui sont extrêmement dures".
"Considérant que la ligne jaune a été franchie, le Premier ministre a décidé d'agir", a-t-on indiqué, sans donner plus de précisions.
MAINTENIR LE CAP
Connu pour son aversion pour le dogme de l'orthodoxie budgétaire, le ministre de l'Economie avait livré une première charge samedi dans les colonnes du Monde en appelant à faire passer au second plan la réduction des déficits et à "hausser le ton" avec une Allemagne "prise au piège de la politique austéritaire qu'elle a imposée à toute l'Europe".
"Le moment est arrivé où il nous faut assumer le leadership alternatif, organiser le moteur alternatif et promouvoir des propositions et pratiques alternatives à cette idéologie destructrice", a-t-il dit dimanche, précisant avoir "proposé au président de la République une inflexion majeure" de la politique économique française.
S'exprimant à sa suite à la tribune, le ministre de l'Education, Benoît Hamon, a appelé à tirer des conséquences des élections européennes, marquées par une déroute du PS et une victoire du Front national.
"Ils ont exprimé vis-à-vis de nous de l'impatience, parfois de la colère, et (...) du mécontentement", a-t-il dit.
"La menace de la déflation, un rapport de forces qui nous est désormais favorable au niveau européen et la pression qui est celle aujourd'hui de l'extrême-droite justifient une politique économique au niveau européen et national qui complète les choix politiques qui ont été faits jusqu'ici pour soutenir la compétitivité des entreprises par des choix économiques pour soutenir le pouvoir d'achat des familles", a-t-il ajouté.
Face aux critiques émises par Arnaud Montebourg samedi dans Le Monde et par les "frondeurs" de l'aile gauche du PS, François Hollande a affiché sa volonté de maintenir le cap des réformes engagées.
Le chef de l'Etat devrait faire au cours des prochains jours une série d'annonces dans quatre domaines - le logement, la concurrence et les professions réglementées, la simplification et l'investissement.
Si les prises de positions de Benoît Hamon et d'Arnaud Montebourg ne sont pas nouvelles, elles risquent de fragiliser un peu plus un couple exécutif déjà malmené dans les sondages.
Selon un sondage Ifop publié dans le Journal du Dimanche, la cote de popularité de François Hollande baisse d'un point en août, avec 17% d'opinions positives. Le Premier ministre Manuel Valls plonge lui de neuf points, à 36%, son plus bas niveau depuis son arrivée à Matignon.
"PARFAITE LOYAUTÉ"
Interrogés par la presse à leur arrivée à la Fête de la rose, Arnaud Montebourg et Benoît Hamon ont démenti toute rupture avec la ligne fixée par François Hollande.
Il est "normal d'ouvrir le débat" face à "une situation nouvelle très grave qui s'appelle la menace déflationniste", a estimé le ministre de l'Economie.
"Il y a aujourd'hui un débat, qui existe en raison de faits nouveaux (...) On le fait en parfaite loyauté", a assuré pour sa part le ministre de l'Education.
Invité dimanche soir du Grand Jury RTL-LCI-Le Figaro, le président du MoDem François Bayrou a estimé qu'il s'agissait d'"une situation sans précédent (...) de décomposition et de désorganisation interne du gouvernement".
"Le ministre de l'Economie du gouvernement qui critique la politique économique du gouvernement, publiquement, sans détour, et le ministre de l'Education nationale qui renchérit", a-t-il dit.
"C'est une situation dont on connaît exactement les règles, une opposition à l'intérieur du gouvernement de ministres aussi puissants ne peut se trancher que par une décision du président de la République qui leur dit 'messieurs si vous n'êtes pas d'accord avec la politique suivie, vous vous en allez", a-t-il ajouté.
(Marine Pennetier, avec Julien Ponthus, édité par Marc Angrand)