par Gabriela Baczynska et Robin Emmott
BRUXELLES (Reuters) - La décision unilatérale de l'Autriche de limiter le nombre de demandeurs d'asile entrant sur son territoire a provoqué de vifs débats jeudi au premier jour du Conseil européen de Bruxelles, sapant les efforts de l'Allemagne pour parvenir à une solution commune, en tandem avec la Turquie, sur la crise migratoire.
Les dirigeants européens, qui ont discuté de la question pendant plusieurs heures, n'en ont pas moins réaffirmé que l'UE ne sortirait de cette crise que grâce à un effort commun et annoncé leur intention d'organiser début mars un sommet avec Ankara.
Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, n'a pas caché son agacement vis-à-vis de l'initiative autrichienne, notant que les "solos nationaux ne sont pas recommandables".
Ce qui devait être une discussion relativement calme sur la mise en oeuvre de la stratégie définie par Bruxelles pour juguler le nombre d'arrivées de migrants en Europe a tourné à la passe d'armes entre le chancelier autrichien Werner Faymann et certains de ses homologues, selon un diplomate.
Plusieurs responsables européens ont estimé que la décision de Vienne de plafonner le nombre d'entrées sur son territoire à 3.200 personnes par jour à partir de vendredi revenait à tourner le dos au reste de l'Europe "pour le bénéfice des tabloïds autrichiens".
Werner Faymann a dit avoir entendu certes des critiques mais aussi "beaucoup de compréhension". "Nous ne pouvons pas fournir tout l'asile en Europe", a dit le dirigeant social-démocrate.
Le commissaire européen aux Migrations, Dimitris Avramopoulos, a averti les Autrichiens que leur décision n'était pas conforme au droit européen, mais le chancelier a déclaré que ses conseillers juridiques n'avaient pas la même opinion et que la décision serait appliquée.
"MERKEL EST COMPLÈTEMENT ISOLÉE"
La querelle déclenchée par l'Autriche est symptomatique des divisions profondes suscitées par la crise migratoire en Europe. Des pays membres ignorent les appels de la Commission européenne à partager plus équitablement l'accueil de centaines de milliers de migrants et réfugiés sur le continent et réimposent des contrôles aux frontières de manière unilatérale.
"La stratégie globale agréée en décembre n'apportera de résultats que si tous les éléments sont poursuivis conjointement et que toutes les institutions et tous les Etats membres agissent ensemble et en totale coordination", ont pourtant réaffirmé les dirigeants européens dans un communiqué.
L'Autriche devait présider un mini-sommet entre la Turquie et onze Etats membres mais le Premier ministre Ahmet Davutoglu a annulé sa venue à la suite de l'attentat commis la veille à Ankara. Le prochain sommet UE-Ankara aura donc lieu début mars. La date du 5 mars a été provisoirement retenue, indique-t-on.
L'Allemagne, qui a accueilli plus d'un million de réfugiés l'an dernier, est particulièrement impliquée dans les efforts visant à obtenir de la Turquie qu'elle freine les départs de migrants à partir de son territoire.
"Pour moi, la déclaration la plus importante aujourd'hui, c'est que nous avons non seulement réaffirmé le plan d'action UE-Turquie, mais dit qu'il s'agissait de notre priorité", a déclaré la chancelière allemande Angela Merkel lors d'une conférence de presse en milieu de nuit.
Mais beaucoup doutent de la réussite de ce projet et préfèrent renforcer les contrôles aux frontières dans les pays traversés par les migrants, ce qui pourrait au final piéger des centaines de milliers de personnes en Grèce et provoquer une grave crise humanitaire dans un pays qui se débat déjà avec de lourds problèmes financiers.
"Merkel est complètement isolée là-dessus, elle perd du capital politique", assure un diplomate. "L'impatience de tous les autres s'accroît chaque semaine. Cela va arriver d'une manière ou d'une autre, même si cela implique de laisser tomber la Grèce."
L'UE se contenterait de fournir une assistance humanitaire à la Grèce, une hypothèse d'ailleurs mentionnée dans le relevé de conclusions des 28 dirigeants réunis jeudi soir.
Quatre pays d'Europe orientale ont émis l'idée d'entourer la Grèce d'une barrière imperméable pour empêcher les migrants de poursuivre leur route vers le nord ou l'ouest de l'Europe via des pays comme la Bulgarie ou la Macédoine.
Mais ce "plan B" suggéré par la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie et la République tchèque est mal passé auprès de Bruxelles et Berlin.
L'ex-Premier ministre polonais et président du Conseil européen Donald Tusk a souhaité éviter "une bataille à propos de plans A, B ou C". "Cela n'a aucun sens, car cela crée des divisions au sein de l'UE", a-t-il dit.
(Jean-Stéphane Brosse pour le service français)