Publié à l'origine sur Proposutiles.com
Depuis la mi-juin, l’action Alibaba (NYSE:BABA) est orientée à la baisse. Sur les douze derniers mois, la performance du titre est désormais nulle, ce qui contraste avec l’envolée des géants de la technologie américaine et plus particulièrement de son modèle Amazon (NASDAQ:AMZN). D’où vient cette désaffection ? Est-elle justifiée ? Voici quelques éléments de réponse.
Des résultats décevants pour les investisseurs
Au titre du 1er trimestre de son exercice 2018/2019, le champion chinois du commerce en ligne a publié un chiffre d’affaires en hausse de +61% à 80,9 Mds CNY (environ 10 Mds €). Le rythme de croissance a encore accéléré depuis l’introduction de la société en 2014, ce qui a constitué une bonne nouvelle.
Le bénéfice net a en revanche chuté de -41% à 8,7 Mds CNY. Sur ce point, les analystes attendaient beaucoup mieux. Certes, une charge non récurrente liée à la récente levée de fonds de sa filiale Ant Financial (les employés se sont vu verser des bonus exceptionnels) a pesé. Malgré tout,
la tendance à l’érosion de la rentabilité d’Alibaba est bien réelle. Depuis 2013, la marge opérationnelle est ainsi passée de 50% à 11%.
Pour l’ensemble de l’exercice, le consensus s’attend à voir les profits progresser de seulement +12% pour des revenus en hausse de +48%. à l’inverse, Amazon est aujourd’hui capable d’afficher une croissance de son bénéfice supérieure à celle de son chiffre d’affaires, pourtant déjà très élevée (+48% au dernier trimestre).
Des investissements faramineux
Le problème d’Alibaba est que le montant de ses investissements est extraordinairement élevé. Comme les autres poids lourds de la technologie chinoise, il investit tous azimuts dans des sociétés de plus petite taille. En 2017, Alibaba, Tencent et JD.com ont ainsi injecté 37 Mds $ dans des startups locales. Et à chaque fois, ils ont payé le prix fort en termes de valorisation. Connu pour être un vendeur en ligne, Alibaba joue ainsi un rôle de conglomérat. Dans un pays où le pouvoir politique est surpuissant, il est à craindre que nombre de ses investissements ne lui soient « suggérés » par le Parti communiste, lequel veut voir naître en Chine un écosystème semblable à la Silicon Valley. Quel est le véritable potentiel de ces investissements ? La question se pose alors qu’Alibaba consomme énormément de liquidités pour développer Koubei, une plate-forme dont l’objectif est de connecter les commerçants physiques avec les internautes, Ele.me, son service de livraison de repas à domicile ou encore Youku, sa plate-forme vidéo.
Dans le même temps, Alibaba accroît aussi ses investissements en raison de la pression concurrentielle. Certes, le géant contrôle environ 60% du commerce en ligne chinois où il réalise 86% de ses revenus. Mais la concurrence auquel il est confrontée, notamment de la part de ingduoduo,
le contraint à accroître ses dépenses défensives.
Des craintes macroéconomiques
La guerre commerciale entre les états-Unis et la Chine pèse également sur le cours d’Alibaba. Donald Trump n’a pas caché vouloir bloquer l’offensive des groupes chinois sur le marché de la technologie américaine. Or, Alibaba avait de grandes ambitions dans le cloud (informatique dématérialisée) outre-Atlantique. Les investisseurs craignent que la montée du protectionnisme ne finisse par enfermer Alibaba sur son marché d’origine et donc d’obérer son potentiel de croissance. Dans ce cas, le groupe serait d’autant plus sensible aux aléas conjoncturels chinois. Or, après des années de croissance alimentée par l’endettement, le pays semble connaître un ralentissement. Le concurrent direct d’Alibaba, JD.com, s’en est déjà plaint...
Des atouts évidents
Bien évidemment, Alibaba conserve des atouts indéniables, à commencer par sa base de 600 millions de clients. Le groupe a énormément investi dans l’intelligence artificielle pour exploiter au mieux les données récoltées, ce qui va lui permettre de développer de nouveaux services liés aux habitudes des consommateurs locaux. Alibaba contrôle déjà 20% du marché de la publicité en Chine. Ses revenus dans le secteur dépassent l’ensemble des sommes dépenses dans la publicité télévisuelle. Sur le long terme, Alibaba semble incontournable pour les entreprises désireuses de vendre en Chine.
Reste à savoir comment valoriser les espoirs de long terme en intégrant les difficultés de moyen terme. En termes de coefficient de capitalisation des résultats (CCR), Alibaba se paie 31 fois ses résultats attendus cette année, ce qui est en ligne avec des groupes comme Alphabet (NASDAQ:GOOGL), mais très inférieur à Amazon. Le groupe vaut en revanche plus de 8 fois son chiffre d’affaires, ce qui demeure extrêmement généreux (Amazon capitalise 4 fois ses revenus).
La consolidation d’Alibaba et sa sous-performance par rapport à ses pairs américains semble justifiée au regard de la dynamique négative des bénéfices. Ce mouvement pourrait se poursuivre, et ce d’autant plus que l’appétit des investisseurs pour les valeurs chinoises est en berne. La crainte d’un ralentissement économique marqué en Chine demeure et pèse sur le cours. Dans ce contexte, et en dépit de l’indéniable potentiel, nous restons à l’écart, pour l’heure. Mais nous surveillons la valeur dans l’espoir d’identifier une fenêtre de tir.