Alerte enfumage : les faiseurs d’opinion, stratèges et économistes de grands intermédiaires financiers nous refont, avec l’éclatement de la bulle énergétique, le même coup que pour lessubprimes, avec exactement les mêmes procédés intellectuellement malhonnêtes qu’il y a 9 ans. Tout le florilège de chiffres bidonnés et de raisonnements biaisés y passe.
De faux chiffres sur l’emploi du secteur pétrolier
Argument n°1 : le problème – si jamais on admet qu’il existe réellement – reste d’ampleur limitée, puisque le secteur pétrolier américain représente seulement 0,5% de l’emploi salarié non agricole et pèse moins de 2% du PIB. Tout ceci est soit absolument faux, soit relève du mensonge par omission. En effet, il est facile d’établir que le secteur pétrolier dans son ensemble fait travailler 2,5% de la population active (et non 0,5%) et jusqu’à 5 ou 6% de la population locale au Texas, Wyoming, Dakota du Nord.
Evidemment, si l’on s’en tient au seul pétrole stricto sensu, cela limite les effectifs à 0,5%. Mais alors autant ne comptabiliser que les personnes travaillant sur une chaîne de montage pour évaluer le poids du secteur automobile.
Il y a bien sûr tous les salariés des groupes gaziers, dont le pétrole n’est qu’une production « connexe » ; il y a les spécialistes du forage, de la pose et de l’exploitation des pipe-lines (comme Williams ou Kinder Morgan (N:KMI)), les entreprises qui réalisent les adductions d’eau sans lesquelles le fracking serait impossible, les fournisseurs de produits chimiques (ceux qui dissolvent les schistes) ; il y a tous les transporteurs routiers et groupes ferroviaires qui transportent « l’huile » et le gaz liquéfié (cela représente des dizaines des milliers d’emplois).
Et puis, il y a toute la bulle immobilière qui s’est développée avec l’afflux massif de salariés – rémunérés ou non par des groupes pétroliers ou gaziers – ces 6 dernières années.
Le secteur du shale oil a représenté depuis 2010 plus de 50% de la croissance additionnelle revendiquée chaque année par les Etats-Unis. Si le secteur pétrolier rentre en récession et détruit 250 000 emplois tous les ans, cela n’aura évidemment qu’un « impact limité » sur le PIB américain, bien entendu !
Le poids économique réel du pétrole
Autre contre-vérité (certains pourraient hurler « menteur ! ») : « Le secteur pétrolier ne représente que 2% des crédits bancaires et 15% du marché des obligations à haut rendement, il ne saurait de ce fait constituer un risque systémique ».
Même contre-argumentation pour l’emploi et le poids économique minoré par une réduction abusive au seul compartiment purement « pétrolier ». Selon certains calculs, la masse de crédit lié au boom du shale oil (tous corps de métiers confondus) serait supérieur à 1 000Mds$ (l’équivalent de la dette étudiante US). Et le secteur gaz/pétrole, au sens large, représenterait environ 50% de l’encours de dettes high yield émises ses 6 dernières années (Wells Fargo, Citigroup, Morgan Stanley (N:MS) apparaissent les plus exposés… et Goldman Sachs pourrait faire partie du lot).
Le high yield, associé au shale oil et aux industries connexes, est donc une question absolument centrale… et non marginale comme les enfumeurs essaient de nous en convaincre.
Les bonnes questions à se poser
Sans oublier que le boom immobilier a également généré le surgissement d’une masse de crédit hypothécaire à risque. Que vaut aujourd’hui la maison d’un ex-salarié licencié, bâtie près d’installations pétrolières désertées, dans une région austère sans le moindre agrément (lacs, montagnes, vie culturelle) et détruite écologiquement par le fracking ?
Et que valent les dettes des sociétés développant des énergies alternatives dont la survie financière dépend d’un baril de pétrole à plus de 75$ ? Quel industriel voudrait d’une électricité coûtant 2 fois plus cher que celle produite avec du fioul ou du gaz ?
Et le secteur où les faillites d’entreprises se multiplient depuis 18 mois n’est pas celui du « pétrole », mais celui du charbon. Et là, le krach a véritablement commencé.
Les enfumeurs vous diront : « cela ne pèse pratiquement rien dans le PIB US, les encours sont limités, les banques peuvent encaisser le choc ».
Et les mineurs, leurs crédits immobiliers, le commerce de proximité… l’Amérique en fait quoi ?