Lorsqu’ils se sont mis d’accord le week-end dernier, à l’issue d’une nouvelle nuit de négociations, sur les grandes lignes d’un plan de sauvetage pour Chypre, les Européens avaient-ils conscience de ce qu’ils allaient déclencher ? L’île avait fait officiellement appel à l’aide de la zone euro en juin dernier, et la formation récente d’un nouveau gouvernement à l’issue des élections permettait d’anticiper la conclusion d’un accord. C’est sa composition qui a surpris, lorsqu’ il a été décidé que les déposants seraient directement mis à contribution dans le sauvetage des banques. Ainsi, les Etats membres de la zone euro se sont engagés à prêter jusqu’à 10 milliards d’euros à l’Etat chypriote1, charge à ce dernier de réunir environ 6 milliards d’euros prélevés sur les dépôts bancaires.
Pourquoi une telle décision ?
C’est la situation spécifique de Chypre qui a plaidé pour une telle solution. En effet, l’île, dont le produit intérieur brut annuel est de l’ordre de 18 milliards d’euros (0,2% de la zone euro, soit dix fois moins que la Grèce) avait besoin de réunir 16 ou 17 milliards d’euros, dont 8 à 10 milliards pour secourir un secteur bancaire hypertrophié (plus 7 fois le PIB en incluant les filiales de banques étrangères installées sur place), devenu au fil des ans un refuge pour capitaux russes et grecs, notamment.
Mais il n’était sans doute pas question pour le FMI de s’engager, comme il a dû consentir à le faire pour la Grèce, dans un plan de sauvetage qui n’assurerait pas dès le départ la soutenabilité à long terme de la dette publique du pays aidé. C’est probablement lui qui a exigé que les fonds prêtés à Chypre n’excèdent pas 10 milliards d’euros (56% du PIB), un montant qui permet au mieux d’espérer un retour à 100% du ratio de dette publiques à l’horizon 2020. Pourquoi, dès lors, ne pas envisager une recapitalisation directe des banques chypriotes par le Mécanisme Européen de Stabilité, qui permettrait à l’Europe de mobiliser les fonds restant à trouver sans les inscrire au passif de Chypre ? D’abord parce que le dispositif n’est pas prêt. Depuis l’accord de principe énoncé en juin 2012, l’Union bancaire avance très, trop lentement. Ensuite parce qu’il est politiquement impossible aux Etats créanciers, et notamment à l’Allemagne où la campagne électorale bat son plein, de mobiliser des fonds publics sans mettre à contribution les avoirs étrangers exilés à Chypre.
Cacophonie et impréparation
C’est dans ce contexte que, pour éviter la liquidation des principales banques du pays, la décision a été prise de taxer les dépôts, en indemnisant les déposants avec des actions des banques concernées. Le plan initial, dévoilé au cours du week- 1 moins la contribution éventuelle du FMI, qui pourrait atteindre 1 Md. end dernier, prévoyait de taxer à hauteur de 6,75% les dépôts en deçà de 100 000 euros, et à 9,9% au-delà, pour un rendement total de 5,8 milliards. A Chypre, les dépôts bancaires dans les banques domestiques atteignaient 70 milliards d’euros en septembre dernier selon l’IIF, dont plus de la moitié détenus par des non-résidents (cf. graphique), ce qui laisse penser qu’au moins 3 milliards d’euros (17 points de PIB) auraient ainsi été prélevés aux déposants non-résidents pour participer à la restructuration d’un système bancaire surdimensionné pour l’île.
Ce plan, en apparence proche du système de « bail-in »2 que la Commission projette de mettre en place à l’échelle de l’Union, s’est toutefois fondamentalement écarté des principes européens en n’exemptant pas les dépôts en deçà 100 000 euros, alors même que ceux-ci sont théoriquement garantis, y compris en cas de faillite des banques. Cette décision, aujourd’hui largement reconnue comme une erreur, a donné prise aux opposants et créé la cacophonie. Au final, même un plan prévoyant une exemption de la taxe jusqu’à 20 000 euros a été très largement rejeté par le Parlement Chypriote.
A ce stade, la confusion est totale. Les autorités chypriotes ont repris les négociations non seulement avec les européens, mais surtout avec Moscou. La réouverture des banques, prévue pour mardi, ne pourra se faire en l’absence d’une solution crédible. Les Européens se sont déclarés prêts à étudier toute proposition qui garantirait la soutenabilité de la dette publique sans accroître significativement les fonds engagés.