À quoi comparer Wall Street et plus généralement les marchés financiers ? Les métaphores adéquates commencent à faire défaut. Nous avons déjà évoqué les méduses échouées, le junkie shooté à l’héroïne, le thermomètre en plâtre sur lequel on peint chaque soir une température printanière, l’orchestre qui enchaîne fox-trot et polkas sur le pont du Titanic en train de couler… Oui, nous avons essayé beaucoup d’images y compris celle du « funiculaire algorithmique » dont le moteur carbure à la fausse monnaie. C’est d’ailleurs peut être celle qui décrit le mieux les marchés américains depuis le 2 février dernier. Celle qui nous vient à l’esprit depuis vendredi serait « le ravi de la crèche » pour lequel tout est bonheur, joie et félicité.
I’m so happy
Il y a tout juste une semaine, Wall Street savourait la perspective de voir la Fed patienter jusqu’à la présentation du plan fiscal « jamais vu » de Donald Trump. Janet Yellen déplorait, devant le Congrès, la médiocrité de la croissance et avait souligné la modération des pressions inflationnistes. Cela avait donné lieu à une succession historique de séances de hausse sans le moindre retracement baissier. Mais Wall Street échappe, vendredi dernier, à une consolidation grâce… à la confirmation qu’une hausse de taux sera initiée dès le 15 mars et que le scénario d’un triple tour de vis monétaire en 2017 (sur 9 mois) correspond à la définition d’une « hausse graduelle » du loyer de l’argent. Alors certes, le terrain avait bien été préparé : toutes les déclarations des Membres de la Fed (patron des banques centrales de région) sont allées dans le même sens la semaine dernière, que les présidents soient ultra-colombe ou ultra-faucon. Les indices US n’ont pas réagi immédiatement aux propos de Janet Yellen sur les taux vendredi et ne sont ressortis du rouge que très lentement à partir de la mi-séance avant terminer dans le vert, in extremis et au prix de mille hésitations. Je parle bien d’hésitations et non pas d’un bras de fer homérique entre bulls et bear… Car c’était plutôt quelque chose qui s’apparentait à un courant d’air tellement ténu qu’il ne parvenait ni à ouvrir complètement une porte ni à la refermer d’un claquement sec.
Snap (NYSE:SNAP) : +72% en deux séances. La fusée boursière
Le seul véritable coup de Sirocco, c’est Snap qui l’a fait souffler : après avoir clôturé sa première séance de Bourse à +44% (par rapport à son prix d’IPO de 17 $), le titre s’envolait de +20% à 29,4 $ peu après l’ouverture. Un véritable krach à la hausse de +72% en 48H… avant de clôturer de nouveau sur un gain de +10,5% à 27,10 $.
Et maintenant que le titre affiche une capitalisation colossale de 36 Mds$, comparable à celle du Crédit Agricole (PA:CAGR) ou de Schneider (PA:SCHN), les analystes déclinent toute une litanie d’arguments pour justifier la valorisation de l’entreprise, son potentiel… tout ça, tout ça. Mais nous baignons dans l’immatériel pur ; Snap ne rend aucun service autre que de procurer une chambre d’écho à notre narcissisme, auquel les utilisateurs de Snapchat consacreraient 30 minutes par jour, notamment les plus jeunes… avec pour principale promesse que cette aimable distraction ne laissera aucune trace. Tenez, je vais essayer de nous ramener à du concret.
Comparons SNAP à SODEXO
Prenons Sodexo (PA:EXHO) une entreprise dont la capitalisation est très exactement inférieure de moitié à celle de Snap.
Sodexo, c’est 475 000 collaborateurs, soit plus de 1.000 fois plus que l’effectif de Snap.
Sodexo distribue chaque jour 75 millions de repas, dans 80 pays (y compris dans des milieux extrêmes), développant un chiffre d’affaire de 20 Mds€.
Snap ne nourrit que le narcissisme de ses utilisateurs (c’est un concept révolutionnaire) et génère pour l’instant un peu plus de 0,4 Mds$, soit 50 fois moins que Sodexo.
Mais ce qui est plus encore révolutionnaire, c’est que l’actionnaire de Snap apprécie que son argent ne soit adossé à aucun actif tangible (aucun patrimoine industriel ou immobilier, ni revenus ni royalties récurrents) et que sa mise de fond ne lui donne accès à aucun droit de vote pour peser sur le destin de la société. Et en matière de capitalisation boursière, Snap n’emprunte pas le funiculaire… mais carrément la fusée à propulsion photonique (oui, elle n’existe que de façon théorique mais le concept est très prometteur), ce qui propulse le titre aux confins du système solaire en quelques heures – vitesse de la lumière oblige.
Snap, plus vite que la vitesse de la lumière
Rappel : la Terre est située à 8 minutes/lumière du soleil ; Mars à 12 minutes, Jupiter à 45 minutes, Saturne à 1h20 minutes, Pluton à 5 heures (en moyenne)… La limite de l’héliosphère (l’ultime zone atteinte par les particules solaires) à 18h/lumière environ. Rappel : 1 jour/lumière est égal à 26 milliards de kilomètres ; une journée + 9 heures = 36 milliards de kilomètres. Et bien Snap atteint en une journée et demi d’existence boursière pas moins de 36 Mds$ de capitalisation : c’est 25% plus rapide que la vitesse de la lumière boursière ! Je plaisante… mais à peine, tant la valorisation de Snap apparaît interstellaire ! Mais qu’en pensent les opérateurs ? Se laissent-ils impressionner ? Pas du tout… En vertu du principe que le prix ne reflète que ce que les investisseurs sont prêts à payer. Donc la valorisation est juste puisqu’elle découle de l’agrégation de « toute l’information disponible » à l’instant T, ce qui rend le marché 10 millions ou 100 millions de fois plus intelligent (et objectif) que l’actionnaire individuel… … Ou aussi fou que les distances interstellaires !