En réponse à leurs inquiétudes sur l’état de l’économie globale, reflétées cet été par un dernier effondrement des rendements obligataires et un début de correction des marchés d’actions, les investisseurs ont eu la joie cet automne de recevoir des banques centrales le message tant attendu, qu’ils pouvaient de nouveau compter sur elles. 60% des banques centrales dans le monde ont baissé leurs taux directeurs au troisième trimestre, un effort synchronisé qui ne s’était plus produit depuis 2009.
Dans ce concert d’assouplissements monétaires, la Banque centrale européenne a repris ses programmes d’achats d’obligations à raison de 20 milliards d’euros par mois à partir du 1er novembre. Quant à la Fed, après sa tentative avortée de normalisation monétaire l’an passé et sa temporisation cette année, elle a elle-même repris l’assouplissement quantitatif, sans vraiment le reconnaitre, à hauteur de 60 milliards de dollars d’achats mensuels de bons du Trésor.
Au milieu de cette reprise massive du tir d’artillerie monétaire, l’apaisement des tensions commerciales sino-américaines a fait office de catalyseur et déclenché chez les investisseurs un retour général de la confiance et une fin d’année boursière en fanfare. Les marchés d’actions ont finalement pu briser le plafond de verre qui les avait confinés jusqu’alors dans une seule réparation des dégâts subis en 2018 (voir notre Note de Septembre
« Les chemins qui ne mènent nulle part »).
Nous avons bien sûr augmenté l’exposition de nos portefeuilles à cette rotation au cours du trimestre pour en capter la dynamique. Mais nous avons néanmoins souhaité maintenir la structure de construction des portefeuilles actions, résolument centrée sur des entreprises de croissance à très bonne visibilité. Cette conviction profonde mérite d’être expliquée.
Les banques centrales ciblent les marchés Soulignons d’abord que la financiarisation de l’économie, en particulier aux États-Unis, justifie depuis une bonne vingtaine d’années que les banquiers centraux se soucient très directement de la tenue des marchés financiers. Les marges de manœuvre des dirigeants d’entreprises sont légitimement corrélées à leur cours de bourse, et surtout les consommateurs américains possèdent aujourd’hui une part plus importante de leur épargne en actifs financiers qu’en immobilier. La bonne tenue des marchés financiers soutient donc la confiance des consommateurs et la croissance, au moins autant que l’inverse. Dans une économie financiarisée, la Fed cible la hausse des marchés, et est ainsi devenue l’allié objectif et fidèle des investisseurs. Cette subvention des banques centrales entraîne une croissance structurellement faible et des cycles de courte durée. S’il en était besoin, les douze derniers mois en ont apporté une nouvelle manifestation : la baisse des marchés d’actions en 2018 a obligé la Fed à renoncer rapidement à sa tentative de normaliser sa politique monétaire.
Fort d’un tel parrainage des banquiers centraux, le rebond des marchés d’actions s’accompagne logiquement d’un regain de confiance dans l’économie, qui alimente une rotation sectorielle en faveur des secteurs plus cycliques, ainsi qu’une légère remontée des taux d’intérêt. Corollaire de ce retour à meilleure fortune, les investisseurs sont maintenant tentés de se positionner pour un remake en 2020 des mini-cycles de reprise économique vécus en 2012/2013 et 2016/2017.
Nous ne sommes nullement convaincus par le potentiel de cette embellie cyclique, ce qui constitue une première explication au maintien d’un positionnement orienté « croissance ».
La récession interdite Le phénomène n’est pas nouveau : depuis une dizaine d’années, la peur de la récession a déclenché à chaque menace sérieuse de ralentissement économique, une réponse monétaire vigoureuse faisant rebondir les marchés. Au fil des années, l’analyse économique a d’ailleurs ainsi été reléguée pour beaucoup d’investisseurs au rang de raffinement accessoire voire de faux ami. Inversement, les analyses techniques ou quantitatives reposant sur le principe selon lequel les mêmes déceptions économiques produisent ultimement toujours les mêmes effets positifs sur les marchés, se sont imposées.
Cette logique s’est même renforcée au fil des années. En effet, la subvention sans fin du capital par les banques centrales a permis au surendettement des États de se perpétuer, et à des petites et moyennes entreprises qui auraient suffoqué depuis longtemps si elles avaient dû se financer à des conditions normales, de grandir et de continuer d’investir en se satisfaisant de seuils de rentabilité très bas. Une récession est ainsi devenue de plus en plus prohibée, sous peine de déclencher une crise de crédit dans des pans importants des secteurs publics autant que privés des grandes économies développées. C’est donc à bon droit que les marchés ont pu encore cette année parier que les banques centrales (ainsi cette fois que Donald Trump, qui pour d’autres raisons veut également à tout prix éviter une récession en 2020) feraient ce qu’il faudrait pour négocier un atterrissage en douceur de l’économie mondiale.
Il y a néanmoins un prix à payer pour ce « Deus Ex Machina » systématique qui permet d’éviter tout ralentissement cyclique majeur : il contribue à amoindrir le potentiel de croissance à moyen terme. La garantie à l’infini de taux d’intérêt très bas, voire négatifs, encourage l’investissement financier au détriment de l’investissement productif et favorise l’endettement, prélevant ainsi sur la croissance future pour éviter toute récession aujourd’hui.
La croissance économique devient structurellement faible, les cycles de plus en plus anémiques et de courte durée, et les entreprises capables dans ce contexte de faire croître néanmoins leurs résultats dans la durée, de plus en plus rares. Ce sont elles que nous privilégions.