Que le japonais Sharp (T:6753) finisse pas se jeter dans les bras du taïwanais Hon Hai/Foxconn en dit long sur le déclin du secteur de l'électronique japonais qui faisait pourtant, avec l'automobile, la fierté patriotique.
"Rachat de Sharp par Hon Hai": titrent unanimement les journaux nippons de vendredi, preuve de l'importance symbolique et du choc national que constitue le passage sous la coupe d'un groupe taïwanais d'une des plus illustres et anciennes entreprises japonaises, riche de pépites techniques mais à court d'argent.
"On peut dire que ce rachat dramatique symbolise le marasme de l'industrie de l'électronique du Japon", lance d'entrée de jeu l'éditorial du quotidien de droite Yomiuri.
Même si tous les termes et l'issue de la transaction avec Hon Hai sont encore marqués de points d'interrogation, le choc est rude pour la Japan Inc.
"Durant ces dix dernières années, les firmes des pays émergents d'Asie se sont dotées d'une force compétitive écrasante, tandis que leurs rivales japonaises ont accumulé les pertes et sacrifié des activités", résume dans un éditorial le quotidien Mainichi.
"Ce qui est inquiétant, c'est que seuls le fonds semi-public japonais INCJ et Hon Hai aient tendu la main à Sharp", écrit le Yomiuri, regrettant "l'apathie" et "l'attente béate des autres sociétés privées du Japon".
Que les banques jouent aussi leur rôle pour aider les industries, insiste ce journal.
Car Sharp, qui dispose de savoir-faire uniques et de nombreux brevets, ne vaut pas rien et Hon Hai l'a compris, soulignent nombre d'analystes.
Certes, l'INCJ, avec la bénédiction du ministère de l'Industrie (Meti), a bataillé des semaines pour éviter que Sharp ne s'en remette à un étranger. S'il n'a pas réussi à convaincre les administrateurs de l'entreprise ni ses banques de la pertinence d'un schéma "national", c'est qu'il passait par un dépeçage de Sharp.
"C'est par dépit que Sharp a choisi Hon Hai", se désole le Mainichi.
Ce n'est hélas pas la première couleuvre que doivent avaler les nostalgiques de l'âge d'or de l'électronique nippone.
- Des pans de Toshiba à l'encan -
Il n'y a pas si longtemps, Sanyo a vendu son électroménager au chinois Haier avant de disparaître, absorbé par son cousin Panasonic (T:6752) qui lui-même s'est grandement détourné du grand public pour ne pas sombrer dans une guerre tarifaire mortifère.
Sony (T:6758) a évité de couler en tentant une échappée par le haut (avec les jeux vidéo, une position de premier plan sur des capteurs d'images Cmos pour smartphones et diverses autres activités où il se distingue) après avoir bu la tasse à plusieurs reprises. NEC a vendu ses PC au chinois Lenovo (HK:0992), etc.
C'est que deux phénomènes font couple pour accélérer le processus.
Non seulement des erreurs stratégiques ont plombé les électroniciens nippons mal à l'aise sur le marché mondial, rappellent fréquemment les analystes, mais dans le même temps leurs concurrents de Chine, Taïwan, Corée du Sud montent en puissance et en gamme, ce qui accentue encore les difficultés de redressement après un accident de parcours comme celui enduré durant la crise financière de 2008-2009.
S'il n'y avait que Sharp. Mais un autre au moins est aussi actuellement en mauvaise posture: Toshiba.
Ce conglomérat dont les origines ont plus de 140 ans choisit la stratégie inverse de Sharp qui a voulu coûte que coûte préserver l'intégrité du groupe. Il est en train de se démembrer pour essayer de sauver l'essentiel aux yeux des dirigeants, à savoir les activités des mémoires et des équipements d'infrastructures principalement.
Le reste est presque à l'encan. Après un pan des semi-conducteurs, vont être cédés les PC (qui pourraient être mariés à l'activité similaire de Fujitsu et à Vaio, société qui a repris les ordinateurs éponymes de Sony), puis la division des appareils médicaux et enfin l'électroménager.
Là encore, l'INCJ voulait sauver l'emblème "hinomaru" (drapeau du Soleil-Levant) en fusionnant les produits blancs de Sharp avec ceux de Toshiba, mais ses plans sont désormais caducs.
En désespoir de cause, "Toshiba est entré en négociations concrètes avec le turc Arcelik pour lui céder son activité de réfrigérateurs, lave-linge et autres équipements domestiques", affirme vendredi le Yomiuri Shimbun.