par Sophie Louet, Emmanuel Jarry et Emile Picy
PARIS (Reuters) - François Fillon, qui a annoncé mercredi sa convocation par les juges le 15 mars en vue de sa mise en examen, a déclaré qu'il irait jusqu'au bout de sa candidature à la présidence mais de premières défections ont été enregistrées dans son camp.
Le candidat de la droite et du centre, gravement fragilisé par l'enquête sur les emplois présumés fictifs de son épouse révélés le 25 janvier par Le Canard enchaîné, a parlé d'un "assassinat politique" et a de nouveau dénoncé une instrumentalisation de la justice pour priver la France d'une alternance à droite et un "parti-pris" des médias.
François Hollande lui a répliqué dans un communiqué, soulignant qu'une candidature à la magistrature suprême n'autorisait pas "à jeter la suspicion sur le travail des policiers et des juges", une critique reprise par plusieurs autres candidats. (Pour les réactions)
L'ancien Premier ministre, qui répondra aux juges, a fait valoir que sa convocation intervenait deux jours avant la date-limite de dépôt des parrainages d'élus.
"Par le choix de ce calendrier, ce n'est pas moi seulement qu'on assassine. C'est l'élection présidentielle. C'est le vote des électeurs de la droite et du centre qui est fauché", a-t-il lancé lors d'une déclaration solennelle à son QG de campagne.
"C'est au peuple français que je m'en remets, parce que seul le suffrage, et non une procédure menée à charge, peut décider qui sera le prochain président de la République française", a poursuivi François Fillon, persistant à se poser en victime. La France, a-t-il plaidé, "est plus grande que mes erreurs".
Et de marteler : "Je ne céderai pas. Je ne me rendrai pas. Je ne me retirerai pas."
Après avoir annoncé le 26 janvier sur TF1 (PA:TFFP) qu'il renoncerait s'il était mis en examen, François Fillon avait dit le 16 février au Figaro qu'il s'en remettait "désormais au seul jugement du suffrage universel".
DÉFECTIONS
Invoquant le "respect de la parole donnée", Bruno Le Maire a annoncé démissionner de ses fonctions de conseiller pour les affaires internationales et européennes auprès du candidat. Une défection saluée par plusieurs de ses soutiens : Arnaud Robinet, Franck Riester, Yves Jégo, Laure de La Raudière.
Dans des rangs déjà ébranlés par la tournure des événements, les velléités frondeuses ont resurgi, et non des moindres.
L'UDI, parti centriste allié à François Fillon, s'est réunie mercredi après-midi pour décider de l'opportunité de retirer ou de maintenir son soutien au député de Paris. "Le débat est ouvert", a dit son président Jean-Christophe Lagarde à Reuters.
Des élus locaux, Les Républicains et UDI, appellent à "débrancher" le candidat.
Les spéculations sur l'avenir de la campagne à droite étaient à leur comble depuis l'annonce surprise, peu après 08h00, du report sine die de la venue de François Fillon au Salon de l'Agriculture prévue ce mercredi matin.
La nouvelle avait pris de court les membres mêmes de son entourage présents sur place, ainsi que les élus formant la délégation. Aucune explication n'était avancée alors que François Fillon avait appris dans la nuit, de son avocat, sa convocation par les juges d'instruction et sa probable mise en examen, selon une source proche du premier cercle.
Le candidat a alors décidé de convoquer des responsables des Républicains à son QG afin de décider de la marche à suivre. Il s'est également entretenu au téléphone avec Nicolas Sarkozy et Alain Juppé, selon une source proche du parti.
Des scénarios contradictoires circulent sur la teneur et l'issue de ces consultations.
Selon un parlementaire LR, François Fillon, poussé notamment par Gérard Larcher, proche de longue date, et Bruno Le Maire, se serait résolu à se retirer au profit d'Alain Juppé, finaliste malheureux de la primaire de la droite et du centre.
L'OPTION JUPPÉ
L'entourage du maire de Bordeaux avait affirmé à Reuters qu'il serait aux côtés de François Fillon pour sa déclaration. Gilles Boyer, ex-directeur de campagne d'Alain Juppé, avait ensuite démenti cette information sur Twitter.
Le maire de Bordeaux, qui était resté en retrait dans la tourmente, avait renouvelé son soutien à François Fillon sur son blog le 21 février sous le tiède intitulé "Un choix de raison".
Il réaffirmait notamment qu'il ne se prêterait pas à un éventuel "plan B (...) contre la volonté de l’intéressé". Mais à des parlementaires "juppéistes", qui ont récemment déjeuné avec lui, il avait confié vouloir y aller "si Fillon le lui demandait."
"Fillon a dit à Juppé 'Est-ce que tu serais prêt à me succéder?' Juppé lui a répondu qu'il ne le ferait que s'il le lui demandait expressément'", selon ce proche du premier cercle.
C'était sans compter avec Nicolas Sarkozy et ses soutiens; mais aussi les "quadras" du parti.
Selon des élus LR, l'ancien président se serait catégoriquement opposé à "l'option Juppé", poussant pour la candidature du sénateur-maire de Troyes François Baroin. Une perspective intenable pour les autres "quadras" Valérie Pécresse Xavier Bertrand ou Nathalie Kosciusko-Morizet.
D'autres sources expliquent que Nicolas Sarkozy a simplement exhorté son ancien Premier ministre à s'accrocher.
"Il a eu Sarkozy au téléphone qui lui a dit de tenir bon. Larcher lui dit qu'il faut lâcher, (Jean-Christophe) Lagarde lui dit que s'il est mis en examen, les centristes ne le soutiendront pas", rapporte la source au fait des discussions.
Patrick Stefanini, son directeur de campagne condamné en 2004 avec Alain Juppé dans l'affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris,, a prévenu pour sa part : 'Si vous êtes mis en examen, moi je ne sais pas faire'", ajoute cette même source.
Selon plusieurs élus, François Fillon aurait beaucoup hésité, remaniant son intervention à la dernière minute. "Il a été à deux doigts de lâcher, vers 10h30, mais à 11h00-11h30, il s'est repris", témoigne l'un d'eux.
"On est dans une sale situation", juge un parlementaire LR. "On est dans un truc de dingue", ajoute un autre.
Le candidat s'est finalement rendu au Salon de l'Agriculture dans l'après-midi après un déjeuner dans une brasserie proche de son QG où, entouré notamment de Valérie Pécresse et Bruno Retailleau, il a pris en photo, goguenard, la masse de journalistes qui se pressaient derrière la vitre du restaurant.
(Avec Claude Canellas à Bordeaux, édité par Yves Clarisse)