par Benjamin Mallet
PARIS (Reuters) - Le Conseil d'Etat a annulé mercredi un décret de 2013 encadrant les tarifs réglementés du gaz appliqués en France aux particuliers et aux petits professionnels, dont le maintien est jugé contraire au droit européen.
Si cette décision risque d'entraîner à plus ou moins long terme la suppression de ces tarifs, la juridiction administrative a cependant précisé qu'elle n'obligeait pas l'Etat à prendre des mesures en ce sens.
Elle avait été saisie en 2013 par l'Association des opérateurs alternatifs (Anode), qui conteste l'existence même des tarifs réglementés - appliqués par Engie (PA:ENGIE) et des distributeurs locaux - en faisant valoir qu'ils faussent la concurrence.
"Le Conseil d'État, par la décision de ce jour, annule le décret du 16 mai 2013 relatif aux tarifs réglementés de vente de gaz naturel au motif que le maintien de tels tarifs est contraire au droit de l'Union européenne", a fait savoir dans un communiqué la juridiction, qui a globalement suivi l'avis de sa rapporteure publique.
Evoquant "l'incertitude grave qu'aurait fait naître une telle annulation sur la situation contractuelle passée de plusieurs millions de consommateurs" et "l'atteinte à la sécurité juridique qui en aurait résulté", le Conseil d'Etat a précisé que sa décision n'aurait pas d'effet rétroactif.
Concrètement, les consommateurs ne pourront pas contester la validité du contrat qui les liait à leur fournisseur entre mai 2013 et fin décembre 2015.
L'annulation du décret de 2013 encadrant la fixation des tarifs ne signifie pas pour autant leur disparition immédiate, car les dispositions du texte ont été depuis inscrites dans le code de l'énergie de 2015.
"Il appartient en effet au gouvernement de tirer le plus rapidement possible par voie législative les conséquences de cette décision en prenant en compte l'intérêt de nos clients", a réagi Engie dans un communiqué.
LES TARIFS DE L'ÉLECTRICITÉ SONT EUX AUSSI MENACÉS
Et si le Conseil d'Etat évoque "une entrave à la réalisation d'un marché concurrentiel du gaz", il relève aussi que, contrairement à la demande de l'Anode d'imposer des décisions garantissant la disparition des tarifs réglementés, l'annulation du décret "n'implique pas nécessairement que l'Etat prenne une mesure d'exécution en ce sens".
Les tarifs réglementés sont fixés mensuellement par le gouvernement après avis de la Commission de Régulation de l'Energie (CRE). Ils concernaient 5,4 millions de particuliers à fin mars.
La Cour de justice de l'Union européenne avait estimé en septembre 2016 que les tarifs réglementés constituaient une entrave à la réalisation d'un marché du gaz concurrentiel mais pouvaient se justifier sous certaines conditions.
La France a défendu leur maintien ces dernières années en faisant valoir qu'ils contribuaient à sa sécurité d'approvisionnement et permettaient de protéger le pouvoir d'achat des consommateurs, alors même que les offres de marché proposent des prix plus bas que les tarifs réglementés.
Pour Engie, fournisseur historique du gaz en France, la suppression des tarifs se traduirait par un plus grande pression commercial de ses rivaux, tels que Direct Energie (PA:DIREN), Eni ou EDF (PA:EDF), mais aussi par l'arrivée de nouveaux entrants sur le marché.
"Sachant que le tarif réglementé fixé par l'Etat était considéré comme une garantie par beaucoup de consommateurs qui l'ont choisi volontairement, une période de transition suffisamment longue devrait s'ouvrir pour leur permettre d'appréhender dans les meilleures conditions les offres du marché", souligne mercredi Engie.
Le groupe, qui défendait le bien-fondé des tarifs réglementés en avançant qu'ils lui permettaient de remplir ses missions de service public, a toutefois prévenu que, si les tarifs du gaz étaient supprimés, ceux de l'électricité devraient l'être aussi pour éviter toute "distorsion entre les énergies".
HULOT ÉVOQUE UNE SUPPRESSION ÉTALÉE DANS LE TEMPS
Le ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, a pour sa part déclaré mardi devant la commission des affaires économiques du Sénat que la France devrait répondre aux injonctions de Bruxelles visant à supprimer les tarifs réglementés de l'énergie.
"On peut faire en sorte que ce soit lissé dans le temps, mais nous avons déjà repoussé l'échéance et, il en va du gaz comme de l'électricité, à un moment ou à un autre il faudra s'y plier", a-t-il dit, ajoutant que le gouvernement prendrait des mesures pour que la suppression des tarifs "se fasse le moins douloureusement possible".
Selon la CGT, "le gouvernement déterre la hache de guerre contre le service public de l'électricité et du gaz".
"Comment choisir la fin des tarifs réglementés quand l'ensemble des associations de consommateurs en France y sont opposées !? (...). Un tel choix ne ferait qu'accroître la précarité énergétique ainsi que les inégalités", a estimé le syndicat dans un communiqué publié mercredi.
Le ministère de la Transition écologique n'a pas commenté dans l'immédiat les annonces du Conseil d'Etat.
Les associations de consommateurs UFC-Que Choisir et CLCV ont pour leur part souligné que la décision du Conseil d'Etat ouvrait la voie "à un risque de contentieux plus large menaçant l'existence même du tarif réglementé de vente du gaz" alors que celui-ci constitue selon elles "un prix plafond impossible à dépasser pour les offres de marché".
(Avec Matthieu Protard, édité par Wilfrid Exbrayat)