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10 ans après Lehman Brothers, le système financier est-il plus solide?

Publié le 04/10/2018 09:48

Il y a 10 ans, la faillite de la banque Lehman Brothers précipitait le monde dans une crise financière majeure suivie d’une récession profonde.

C’est l’occasion de se demander si le système financier est à l’abri d’une nouvelle tempête. A-t-on tiré toutes les leçons du séisme de 2008 ? Ne s’est-on pas contenté d’appliquer quelques rustines sur un système qui se nourrit de liquidités abondantes ? D’autres bulles sont-elles en train de se former ? Et comment les détecter avant qu’elles n’éclatent ? Autant de questions auxquelles les experts ont tenté de répondre ces derniers jours.

Les causes de la crise de 2008, qui a démarré aux Etats-Unis, sont bien connues. Durant la période 2003-2007, profitant de la hausse du marché immobilier américain, des banques et d’autres intermédiaires financiers peu scrupuleux accordèrent des prêts hypothécaires à des ménages dont les revenus couvraient à peine l’emprunt en leur faisant miroiter des conditions mirobolantes. L’une d’entre elles était que l’emprunt, qualifié de « subprime », c’est-à-dire de moindre qualité, se remboursait en quelque sorte par la hausse du bien. Arriva ce qui devait inévitablement arriver : au début 2007, le marché immobilier américain se retourna et les acheteurs victimes de cette pyramide de Ponzi ne furent plus en mesure de rembourser leur emprunt.

En d’autres temps, les dégâts auraient pu être conséquents mais limités. Certes, des milliers de malheureux auraient été forcés de vendre leur bien et les banques auraient encouru des pertes importantes. Mais les marchés auraient sans doute tenu bon. Le problème, c’est qu’en 2008, le monde bancaire s’était doté « d’armes financières de destruction massive » pour reprendre la formule célèbre de Warren Buffett. Ces armes avaient pour noms : la titrisation, l’effet de levier et les produits financiers dérivés.

Un effet boule de neige

En effet, les subprimes furent incorporées avec d’autres créances moins risquées au sein d’obligations tels les mortgage-backed securities (MBS) et les collateralized debt obligations (CDO). Ces portefeuilles de créances repackagés sous forme d’obligations furent ensuite revendus aux investisseurs qui étaient loin de se douter qu’un ingrédient hautement toxique faisait partie des produits proposés. Les banques accumulèrent également ces produits, qualifiés de sûrs par les agences de notation. Ajoutons à ce cocktail explosif, l’interdépendance de plus en plus étroite des acteurs financiers, et l’on aura compris pourquoi la baisse, d’abord limitée au secteur immobilier, fit rapidement tâche d’huile. C’est en cela qu’on a pu parler de première véritable crise systémique.

Cette crise fut si violente qu’elle mit un frein aux prêts interbancaires à court terme, chaque banque soupçonnant sa contrepartie d’être lourdement investie en produits toxiques et donc insolvable. Elle assécha le marché de ses liquidités, provoqua la faillite d’une grande banque d’investissement (Lehman Brothers) et força la vente à prix bradés d’une autre (Bear Stearns). Un mastodonte comme l’assureur AIG, véritable réservoir de produits toxiques et de paris misés contre elle via les CDS (Credit Default Swaps), fut décrété « to big to fail ». AIG était susceptible de conduire à l’implosion du système tout entier. Elle fut donc sauvée le jour même où la FED décida d’abandonner Lehman à son sort.

Le crash devient global

La crise fit chuter le Dow Jones de 50% entre octobre 2007 et mars 2009 et obligea le Trésor américain a injecter 350 milliards USD sur les 700 milliards initialement prévus afin de renflouer le secteur bancaire. Quant à la FED, elle dut inonder le marché de liquidités (7,7 trillions) pour tenter de relancer la machine. Globalement parlant, c’est près de 10 trillions qui furent injectés dans les économies par les banques centrales, notamment via le mécanisme de l’assouplissement quantitatif.

La crise, d’abord limitée au secteur financier, finit par avoir des conséquences dramatiques sur les économies réelles. Les entreprises cessèrent d’investir et licencièrent massivement. Près de 9 millions d’emplois furent sacrifiés aux Etats-Unis entre 2008 et 2010. Dans la foulée du crash immobilier, près de 9 millions de ménages ayant bénéficié d’emprunts subprime perdirent leur logement.

La récession qui toucha d’abord les Etats-Unis de la fin 2007 à la fin 2009 devint ensuite globale et se propagea en Europe où elle provoqua une autre crise, celle des dettes souveraines, plombées par le renflouement du secteur bancaire européen, lequel coûta 950 milliards d’euros. De sévères mesures d’austérité furent imposées aux économies européennes pour juguler le gonflement des dettes souveraines. Elles se payèrent cash par un ralentissement de l’activité économique et des pertes d’emplois importantes.

Un autre choc systémique est-il possible ?

L’économie mondiale a repris des couleurs, même si ses performances restent variables d’un pays à l’autre. Mais la question d’une nouvelle crise systémique reste présente dans les esprits. Lors de la période qui précéda 2007, l’immense majorité des experts n’avait rien vu venir et Alan Greenspan, le président de la FED a admis lui-même qu’il croyait que le marché allait s’auto-réguler et limiter ses excès. A part quelques lanceurs d’alerte, personne ne se doutait que le feu de brousse allait démarrer dans le secteur immobilier des subprimes.

C’est sans doute pour cette raison que les spécialistes se tiennent désormais sur leurs gardes, surveillent de près le tableau de bord des marchés financiers et traquent les anomalies. Le problème, c’est qu’une partie non négligeable de la finance globalisée échappe à l’écran des radars, notamment le secteur dit du « shadow banking « . Celui-ci regroupe l’ensemble des institutions financières non soumises à la réglementation bancaire et est évalué à 100 trillions, un montant astronomique. Les experts craignent surtout les répercussions d’un événement provenant de ce monde parallèle sur les banques, comme par exemple, la faillite d’un très grand hedge fund.

Ce qui va mieux

Un article de Bloomberg a fait récemment le point sur les clignotants financiers qu’il s’agit de tenir à l’œil (Yalman Onaran, « Can we survive the next financial crisis », 10 sept. 2018). Certains voyants sont dans le vert. C’est le cas des banques américaines, qui ont globalement passé l’épreuve des stress-tests et sont mieux armées en cas de choc financier. Elles ont réduit leur exposition aux risques de crédit en augmentant leurs fonds propres. Ceux-ci sont passés de 2% des actifs en 2007 à près de 7%. Elles dépendent également moins de sources de financement à court-terme, qui furent un élément déclencheur de la crise de 2008 et s’appuient davantage sur leurs dépôts, qui sont garantis (47% des actifs au lieu de 29%).

Au nombre de leurs activités, elles recourent moins au trading et davantage aux services bancaires classiques. Les grandes banques comme JP Morgan ou Bank of America (NYSE:BAC), surnommées ‘to big to fail », ont également subi une cure d’amaigrissement. En Europe, des institutions comme la Royal Bank of Scotland ou le groupe ING (AS:INGA), qui furent renflouées par leur gouvernement lors de la crise, ne pèsent plus qu’un tiers du ratio actifs/PIB national de 2007. Seul point noir : la Chine. Les actifs des 5 premières banques chinoises représentent 131% du PIB chinois.

En Europe, le tableau est moins rose. Les banques européennes restent plombées par le fardeau des prêts non performants d’une valeur globale de 1 trillion d’euros. Les banques italiennes sont les plus exposées, avec près de 220 milliards de « bad loans ». De nombreux experts se rejoignent pour estimer que l’Italie est le maillon faible de l’Europe et qu’il suffirait qu’une banque italienne comme Monte Paschi soit en sérieuse difficulté pour entrainer dans sa chute d’autres institutions bancaires. Les grandes banques allemandes sont moins exposées aux risques de crédit mais le bilan de la Deutsche Bank (DE:DBKGn), qui accumule des pertes, est également inquiétant.

Ce qu’il faut surveiller de près

L’article de Bloomberg souligne le fait que les risques de crédit aux Etats-Unis se sont déplacés des particuliers vers les entreprises. Les obligations pourries (junk bonds) et d’autres prêts risqués consentis aux entreprises ont doublé par rapport à 2008. Un type de produit est particulièrement dans le collimateur. Ce sont les CLO (collateralized loan obligations) qui sont l’équivalent des fameux CDO qui furent au cœur de la crise de 2008. La différence, c’est qu’il ne s’agit plus d’obligations adossées à des prêts hypothécaires risqués mais à des prêts risqués accordés aux entreprises. Ce marché pèse déjà 600 milliards USD, soit autant que les CDO en 2007. Il engendre, bien sûr, les mêmes travers : effets de levier et produits dérivés. Seule différence : les banques traditionnelles sont moins exposées et le « shadow banking » y prend une plus grande part. Certes mais le fait que les liens entre les banques officielles et le shadow banking se soient resserrés ces dernières années n’est pas fait pour rassurer.

Ce qu’il faut surveiller de très près

Comme dans « La lettre volée » de Edgar Allan Poe, ce que l’on ne voit pas est souvent ce qui crève les yeux. La vérité écrasante de nos économies, c’est que le monde entier vit à crédit : Etats, entreprises et particuliers. L’argent pas cher nourrit la spéculation et incite tous les acteurs économiques à emprunter. La dette globale s’élève désormais à 250 trillions et le ratio dette globale/PIB global atteint 318%. Les instances de régulation monétaire et notamment les banques centrales sont elles-mêmes endettées. Le passif de la FED est de 4 trillions. Il est vrai que les banques centrales ont toujours la possibilité de faire tourner la planche à billets.

Au nombre des acteurs lourdement endettés, il faut mettre en exergue les pays émergents (Etats et entreprises). Leurs créances globales s’élèvent à plus de 8 trillions, en comptant la Chine. Leurs obligations arrivant à maturité en 2019 atteignent 249 milliards, montants qu’elles devront généralement rembourser en devises fortes alors que leurs monnaies nationales comme le peso argentin, la livre turque, le réal brésilien, le rand sud-africain ou le rouble ont dévissé en 2018. Un effondrement des pays émergents aurait inévitablement des répercussions ailleurs.

Bref, les experts se méfient surtout des pays émergents, de l’Italie, de la bulle des prêts risqués aux entreprises américaines ainsi que du monde parallèle du shadow banking. Mais tout comme en 2008, il est possible que le danger vienne d’un secteur que l’on ne soupçonne même pas.

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