C’est la question à plusieurs trillions. Le pic de la pandémie semble derrière nous. Les Etats occidentaux ont entamé la phase 1 du déconfinement. L’activité économique reprend petit à petit. Mais l’impact de cette crise sera sévère. Et la confiance mettra du temps à revenir.
Vendredi dernier, les statistiques de l’emploi sont tombées aux Etats-Unis. On s’y attendait un peu mais il n’en reste pas moins que les chiffres sont catastrophiques. Les Etats-Unis comptent désormais 20,5 millions de nouveaux chômeurs et le taux de chômage a bondi de 3,5% à 14,7%. Du jamais vu depuis la grande dépression de 1929.
A titre de comparaison, lors de la crise financière de 2008, le mois le plus calamiteux avait vu la destruction de 800.000 emplois. Depuis deux mois, le total des jobs perdus dépassent ceux qui ont été créés depuis une décennie.
Et ces chiffres ne disent pas tout, car ils ne tiennent compte que des chômeurs à la recherche active d’un emploi, pas de ceux qui y ont provisoirement renoncé à cause du confinement. Facteur aggravant, à peu près tous les secteurs sont touchés, - services, construction, production industrielle, transports routiers, restauration - ce qui atteste que le carnage est général et que la pente sera plus difficile à remonter. Même le secteur des soins de santé a perdu 1,4 millions d’employés, car la pandémie a eu pour effet pervers d’éloigner les autres patients des hôpitaux. Une nouvelle positive cependant : 78% des sans-emplois considèrent que leur situation est provisoire et s’attendent à retrouver leur ancien job dès que l’épidémie aura disparu.
En Europe, les chiffres du chômage sont moins désastreux car les travailleurs bénéficient d’un régime de protection sociale. Dans les 5 principales économies d’Europe, 20% de la main-d’œuvre, soit 30 millions de travailleurs, continuent de toucher leur salaire (réduit) grâce à l’intervention des Etats. Il n’empêche que le tableau est sombre. Christine Lagarde a indiqué qu’en Allemagne 718.000 entreprises avaient recours au chômage partiel et 425.000 en France. Les conséquences de la contraction brutale des économies sont encore difficiles à évaluer, que ce soit sur l’emploi, la demande, l’investissement ou le fardeau de la dette.
2020 en chute libre, rebond en 2021 ?
Une chose est sûre, le recul du PIB en 2020 sera général. Christine Lagarde prévoit une récession de 5 à 12% en zone euro, en fonction de l’amplitude de la pandémie. La Commission européenne la situe à 7,75% en zone euro dans le meilleur des cas, et de 10% si une seconde vague épidémique déferle cet hiver. Le rapport d’Euromonitor prévoit un recul du PIB de 7,2% en eurozone, allant de 6,3% en Allemagne à 9% en Italie. A comparer avec les Etats-Unis (- 5,9%), la Corée du Sud (-1,1%), la Chine (+0,5%), l’Indonésie (0,8%) et l’Inde (2,1%). En d’autres termes, le continent asiatique (hors Japon) s’en sortira mieux que le reste du monde.
S’ils sont pessimistes pour 2020, que l’on peut d’ores et déjà considérer comme une année sacrifiée, la plupart des experts prévoient cependant un rebond en 2021, allant de 3,5 à 7%. Tout dépendra bien sûr, de l’évolution de la situation sanitaire.
Même si elle semble s’améliorer, les incertitudes demeurent. Le déconfinement sera progressif mais il est impossible de fixer la date d’un retour à la normale. Et d’ailleurs, que signifie un retour à la normale ? Une économie tournant à 80% ou à 90% de sa capacité antérieure (pour reprendre la formule du « The Economist ») est-elle un objectif réalisable ? Devra-t-on s’en satisfaire ? Philip Lane, l’économiste en chef de la BCE, estime qu’il faudra deux à trois ans pour retrouver la situation pré-Covid. D’autres rappellent qu’il a fallu six années pour que l’emploi retrouve son niveau d’avant la crise financière.
Le problème avec ces prévisions, c’est qu’elles prennent pour modèles les crises passées. Or celle-ci est totalement inédite. Il s’agit des conséquences d’une pandémie. Pour tenter d’y voir un peu plus clair, il est peut-être nécessaire de se donner quelques points de repères. Par exemple, en dressant la liste des facteurs positifs et négatifs à surveiller.
Eléments positifs
1. La pandémie recule. C’est un fait indéniable. Tous les graphiques montrent que le pic est dépassé et que les pays les plus touchés – Italie, Espagne, France – sont sur la pente déclinante de la courbe. Même les Etats-Unis et le Royaume-Uni, qui ont tardé à réagir, semblent sur la bonne voie. Si les consignes de distanciation sociale sont respectées, en particulier dans les zones urbaines, on pourrait bientôt se retrouver dans une situation proche de ce qu’on trouve en Chine ou à Taïwan : aucun décès à déplorer et quelques cas qui subsistent ici et là. Ce qui laisserait du temps pour renforcer les dispositifs de protection (tests de dépistage et tracking) et pour accélérer la mise sur le marché d’un vaccin.
Un bémol : la soudaine apparition de poches épidémiques en Chine, en Corée ou à Singapour prouve que le virus n’a pas disparu. Certains spécialistes prétendent qu’une deuxième vague sera inévitable dans la foulée du déconfinement. Une vague ou juste une vaguelette ? Tout est là. L’un des clignotants à surveiller et qui signalerait une résurgence de l’épidémie, est le fameux R zéro, le taux de contamination d’un individu. S’il dépasse 1, comme en Allemagne en ce moment, un reconfinement partiel pourrait s’avérer nécessaire. Et ce serait un très mauvais signal pour le rétablissement de la confiance.
2. Les laboratoires du monde entier travaillent d’arrache-pied pour trouver un vaccin ou à défaut, un traitement efficace. Selon le tableau de bord de l’OMS, plus de 100 vaccins sont en phase préclinique et 8 vaccins ont démarré la phase des essais cliniques. Ces vaccins exploitent une grande variété d’approches et certains reposent sur des technologies d’avant-garde, qui permettent de sauter les étapes, en particulier la culture cellulaire. Certains laboratoires envisagent de recourir à des « cobayes » humains volontaires auxquels on inoculerait le virus. Autre option envisagée : vacciner en priorité le personnel médical, sans doute dès l’automne. Il n’en reste pas moins que les écueils sont gigantesques. Jusqu’ici, on n’a jamais réussi à mettre au point un vaccin contre les autres coronavirus ni d’ailleurs contre le VIH ou Ebola. La production de plusieurs milliards de doses est un autre défi. Tout ceci aura un coût, ce qui signifie que le vaccin sera inabordable pour les pays pauvres.
3. L’Extrême-Orient connaît un rebond de l’activité économique. Cette reprise varie selon les pays et les secteurs. Premier pays à avoir levé le lockdown, la Chine a vu ses exportations bondir de 8,2% en avril. Celles-ci résultent avant tout de la forte demande en Asie du Sud-Est. Les importations de matières premières ont également augmenté. En revanche, le secteur des services continue de souffrir, les consommateurs chinois n’ayant repris qu’en partie le chemin des magasins et des restaurants. Quant aux exportations vers l’Europe et les Etats-Unis, elles ont baissé à cause de l’arrêt de l’activité dans les pays occidentaux. Même si elle est loin d’avoir retrouvé ses niveaux de 2019, l’exemple de la Chine montre qu’il est possible de redémarrer une économie au lendemain d’un confinement particulièrement sévère.
Eléments négatifs
1. C’est une crise sans précédent, bien plus grave que la grande récession économique de l’après 2008. Elle cumule toutes les ondes de choc : sanitaire, sociale, économique, politique. La moitié de l’humanité a été cloîtrée chez elle avec pour corollaire, un arrêt économique brutal. Quasiment tous les secteurs ont été impactés d’une manière ou d’une autre. L’exemple le plus frappant sont les Etats-Unis, l’économie la plus avancée au monde. Etats, municipalités, universités, hôpitaux… tout est en ruine. La ville de New York a un trou de 7,4 milliards, l’Etat de New York, 13 milliards. Une simple université comme celle du Michigan a besoin d’un milliard pour se renflouer. La Californie ne parvient même pas à estimer les dégâts. Mitch McConnell, le chef de la majorité au Sénat a invité les Etats à déposer leur bilan pour pouvoir restructurer leur dette.
Sur le front de l’emploi, le secrétaire d’Etat au trésor Steven Mnuchin prévoit à court terme un taux de chômage de 20%. Après avoir accepté de lâcher des centaines de milliards pour soutenir les entreprises et subvenir aux besoins des travailleurs et des ménages, la Maison-Blanche et les républicains rechignent à payer la suite. Au-delà du mois de juin, sans ce ballon d’oxygène, beaucoup d’entreprises et d’indépendants resteront sur le carreau. Et cela, en dépit du fait que la Fed fait tourner la planche à billets et que le déficit public s’est déjà creusé d’au moins 3 trillions.
2. Le danger réside dans l’effet boule de neige. Dans les économies avancées, tout s’interpénètre, tout percole. Une disruption touchant autant de secteurs à la fois se répercute sur l’ensemble de la société. Quasiment rien ni personne n’y échappe. Il suffit de réfléchir à une seule activité pour entrevoir ses conséquences sur les autres.
A mesure que les restaurants, hôtels, commerces ou cinémas adopteront les nouvelles règles de distanciation sociale, ils perdront mécaniquement une bonne partie de leur clientèle. Un grand nombre de ces exploitations seront conduites à mettre la clé sous la porte. Le personnel qui y travaillait se retrouvera sans emploi. Ces entreprises n’étant plus en mesure de payer leurs fournisseurs, ce sont ces derniers qui trinqueront. Les banques qui leur ont prêté de l’argent ne seront pas remboursées, ce qui les fragilisera à leur tour. N’ayant plus de ressources, tous ces acteurs économiques seront poussés à réduire leur consommation. Ceux qui envisageaient d’acheter une voiture ou un logement, de s’agrandir ou d’investir y renonceront. De but en blanc, c’est la société tout entière qui se trouve prise dans une spirale déclinante.
3. Il faudra du temps avant que la confiance revienne. Tant que l’incertitude sanitaire perdurera, surtout si elle se double d’une crise sociale, le bout du tunnel ne sera pas en vue. Pour que les ménages et les actifs retrouvent, sinon l’insouciance de la vie d’avant le Covid-19, du moins une certaine sérénité, un grand nombre de conditions devront être réunies. Des avancées dans le domaine médical ; le sentiment que la pandémie est, sinon jugulée, du moins sous contrôle ; la présence de contrôles sanitaires à tous les accès importants (gares, aéroports, stades, galeries marchandes, foires, entreprises) ; la multiplication massive des tests de dépistage permettant à tout un chacun de savoir quel est son état de santé : des applications de tracking performantes et non invasives permettant d’isoler immédiatement les malades.
Il sera sans doute nécessaire de changer certaines habitudes et d’adopter de nouveaux comportements. C’est le prix à payer pour que le déclic psychologique ait lieu, que l’envie de consommer, de bouger, d’innover, d’avoir une vie sociale authentique rejaillisse à nouveau et que chacun puisse envisager des perspectives d’avenir.