Publié à l'origine sur la Bourse au quotidien.fr
Le graphique ci-dessous est l’un des spectacles les plus effarants que j’ai vu récemment. Regardez-le.
La ligne rouge correspond au rally enregistré sur le S&P500 d’octobre 2017 au 10 octobre 2018, soit un gain cumulé de 15%, malgré une certaine volatilité en cours de route.
La ligne bleue correspond à la baisse d’un indice boursier mondial qui n’intègre pas les Etats-Unis. Elle retrace une baisse cumulée d’environ 2% depuis octobre 2017, et qui s’est également accompagnée de volatilité. L’écart entre la performance américaine et la performance du reste du monde est de 17% en faveur des Etats-Unis.
L’anomalie ne s’arrête pas là. Les Etats-Unis et les marchés internationaux ont été très corrélés du mois d’octobre 2017 au mois de mai 2018. A ce stade, la divergence de performance était inférieure à 1%. La grande divergence a réellement débuté en octobre 2017 et abouti à l’écart actuel de 17 points de pourcentage.
On ne peut tirer que trois hypothèses de ces données.
Première hypothèse : les Etats-Unis surperforment tout simplement le reste du monde et cet écart est justifié ;
deuxième hypothèse : les actions du reste du monde sont grossièrement sous-évaluées et constituent donc une opportunité d’achat ;
troisième hypothèse : les actions américaines sont grossièrement surévaluées et vouées à s’effondrer.
Bien entendu, un mélange de ces trois conclusions est également possible.
Selon moi, la meilleure explication justifiant cet écart est que les actions américaines sont surévaluées et vouées à s’effondrer. Voilà ce qui est si effrayant. Car aucun élément « fondamental » macroéconomique n’est là pour justifier un tel niveau de valorisation : croissance, immobilier, chômage, taux d’inflation… tout est bidon. Voyez ici pourquoi.
▶ Une croissance en carton…
Il est vrai que la croissance américaine au deuxième trimestre – et ses prévisions de croissance pour le troisième – dépassent substantiellement les prévisions concernant le Royaume-Uni, le Canada, l’Union européenne et le Japon. Toutefois, il est plus que probable qu’il s’agisse d’une hausse temporaire conséquente aux baisses d’impôt de Trump entrées en vigueur au 1er janvier 2018. Il n’y aura pas de nouvelle baisse des impôts en 2019, ni au cours des années suivantes. On ne sait pas trop ce qui soutiendra la croissance actuelle au-delà de cette année.
Les Etats-Unis ont enregistré plusieurs trimestres consécutifs de forte croissance, au cours des années Obama, de 2009 à 2017. A chaque fois, la croissance s’est estompée pour revenir à sa moyenne d’environ 2,2% sur neuf ans, laquelle persiste depuis la fin de la dernière récession. L’incertitude demeure, mais au cours des six prochains mois, le « Rebond Trump » pourrait renouer avec cette tendance de faible reprise au lieu de devenir durable.
Nos données macroéconomiques indiquent que l’économie américaine n’est pas aussi solide que le montrent les données faisant les gros titres.
Dans certains articles publiés la semaine dernière, il est question d’un taux de chômage de 3,7%, soit le taux le plus bas jamais enregistré depuis 1969. Mais on oublie de mentionner une baisse de la création d’emplois (de 201 000 emplois à 134 000), une faiblesse historique de la participation à la main d’œuvre (62,7%), une augmentation du taux de chômage dit « U-6 » (de 7,4% à 7,5%), une augmentation du nombre de chômeurs longue durée (de 1,3 à 1,4 million) et un ralentissement d’une année sur l’autre de la progression des salaires (de 2,9% à 2,8%). Au fait, ces chiffres relatifs à la progression des salaires sont nominaux, et non réels. Après soustraction des 2% d’inflation, la croissance réelle des salaires est pitoyablement faible.
On prend souvent l’augmentation des taux d’intérêt (comme c’est le cas à l’heure actuelle aux Etats-Unis) comme un signe de forte croissance économique. Pourtant, nous avons vécu cinq épisodes où les taux d’intérêt ont augmenté rapidement, depuis 2008, pour se retourner à chaque fois, et chuter lorsque l’économie a commencé à ralentir. Il est [donc] plus probable que ce marché baissier proclamé par tant de monde ne soit qu’une supercherie de plus, et que les taux reviennent au milieu de la fourchette des 1,5% à 3,9% dans laquelle ils évoluent depuis 2008.
▶ … et un secteur immobilier en toc
L’immobilier représente une autre source de problème dont les médias ne parlent pas assez. Voici ce que le Financial Times avait à dire sur le marché de l’immobilier le 7 octobre 2018 :
« Pourquoi, au milieu de toutes ces bonnes nouvelles [macroéconomiques], le marché de l’immobilier ralentit-il ? C’est une question qui a énormément d’importance, car l’immobilier est ce qui permet encore à la majorité des Américains de conserver l’essentiel de leur richesse et, traditionnellement, c’est un baromètre de tendance économique. Dans tout le pays, les ventes et les permis de construire sont en baisse. Plusieurs marchés autrefois en plein essor, notamment la ville de New York, la région de San Francisco et Denver, ont ralenti. Les activités de construction ont ralenti également, ce qui est préoccupant, considérant le rôle disproportionné que joue la construction dans la croissance économique américaine… Si la chute que nous constatons actuellement au sommet du marché se propage, l’impact pourrait être assez important ».
Enfin, les analyses ne devraient pas trop se fier aux annonces selon lesquelles la confiance des consommateurs serait élevée. Wall Street aime bien clamer qu’un niveau élevé de confiance chez les consommateurs est signe que les actions vont bientôt augmenter.
Mais c’est tout le contraire en réalité.
Les données indiquent clairement que la confiance des consommateurs est un indicateur économique retardé, et non avancé. Le niveau de confiance des consommateurs est élevé car les cours des actions sont élevés, et pas le contraire. Si le marché actions s’effondre, la confiance s’effondrera en même temps. Un niveau de confiance élevé des consommateurs indique davantage une bulle sur le point d’éclater qu’une prochaine hausse des actions.
▶ La croissance mondiale à la peine plombera la croissance américaine
Il est vrai que la croissance mondiale est faible. L’Europe a montré des signes de ralentissement toute l’année. Le Japon a progressé un peu, mais en partant de très bas. La croissance japonaise pourrait rapidement s’inverser avec l’augmentation des taux d’intérêt dans le pays. Le Canada, le Royaume-Uni et l’Australie, entre autres, signalent tous un ralentissement. Les économies des marchés émergents sont toutes gravement pénalisées par le renforcement du dollar, qui exerce un surcroît de pression sur leurs volumes de dettes libellées en dollars.
Toutes ces données justifient la faible performance des indices boursiers hors des Etats-Unis.
Le problème, c’est que les Etats-Unis vont probablement rejoindre ce peloton au lieu de s’en échapper. La baisse de l’immobilier, les données de l’emploi, l’énorme fardeau des dettes du gouvernement fédéral et des prêts étudiants, les taux d’intérêt élevés et le ralentissement de la croissance chez les partenaires commerciaux sont autant de signes que la croissance va ralentir aux Etats-Unis.
Lorsque cela se produira, et peut-être est-ce ce à quoi nous assistons en ce moment même, l’écart entre les performances élevées des actions américaines et la faible performance de celles des autres pays va rapidement se réduire au détriment des marchés américains.