En vue d’enrayer la crise monétaire qui secoue le pays, la Banque centrale de Turquie a relevé de manière drastique ses taux d’intérêt ce jeudi, défiant au passage le Président Recep Tayyip Erdogan, qui l’encourageait quelques heures plus tôt à réduire le coût de l’argent.
En augmentant de 625 points de base à 24% son principal taux directeur, l’institution monétaire a rassuré quelque peu les marchés, au vu de la hausse de près de 8% de sa devise face à l’euro et au dollar. Ce rebond permet au passage à la lire de réduire ses pertes aux alentours des 36% cette année.
On se souvient que la monnaie avait touché un plus bas historique le mois dernier, les investisseurs s’inquiétant de l’inflation élevée qui gangrène le pays, ainsi que de l’ingérence du Président turc dans la gestion de l’économie. En outre, la chute de la lire avait été et reste exacerbée, par une série de conflits diplomatiques et commerciaux avec les États-Unis.
Selon l’économiste de la Commerzbank (DE:CBKG) Peter Dixon, cité dans le New York Times, 'les autorités monétaires turcs tentent de reprendre la main. Savoir si elles vont réussir être un autre problème'.
La hausse drastique des taux semble en tout cas à la hauteur des problèmes qui touchent la Turquie, symbolisés par une inflation qui a atteint près de 18% en août. Et alors que la valeur de sa devise fond comme neige au soleil, les marchés s’inquiètent des capacités de remboursement de l’Etat et des entreprises, significativement endettés en devises étrangères fortes (euro et dollar).
Quelques heures avant l’annonce par l’institution monétaire, le Président turc avait pourtant fait part de ses réticences concernant une hausse des taux, quand bien même soit elle modeste.
Pour rappel, autoproclamé ennemi des taux d’intérêt, Erdogan veut soutenir la croissance par tous les moyens et craint qu’un renchérissement du coût de l’argent ne vienne impacter l’activité.
De l’avis des observateurs, cette hausse pour le moins significative des taux a de quoi surprendre. Elle pourrait enfin contribuer à stabiliser la lire et freiner l’inflation, tout en rétablissant la confiance des marchés quant à l’indépendance de la Banque centrale à l’égard de l’exécutif.
Pour autant, cette décision pourrait mettre l’institution monétaire en situation d’affrontement avec Erdogan, dans le cas où les coûts d'emprunt plus élevés commençaient à ralentir la croissance.
Pour mémoire, pendant près de deux décennies, la Turquie a connu une croissance ininterrompue qui a permis de réduire la pauvreté, d’accroître les rangs de la classe moyenne et jusqu’il y a peu encore, d’attirer les capitaux des investisseurs internationaux.
Notons que dans son communiqué, l’institution a précisé qu'elle utiliserait tous les leviers disponibles pour assurer la stabilité des prix, ce que certains interprètent comme un signal envoyé à l'exécutif pour réaffirmer son indépendance.
Vers un rebond durable de la lire? Les investisseurs repassent à l’achat
Tandis que la lire reprenait du terrain sur le couple euro/dollar, les investisseurs sont repassés également à l’achat sur les emprunts gouvernementaux turcs.
A titre d’exemple, l’emprunt d’Etat à sept ans libellé en euro gagnait plusieurs points pour se traiter autour des 88,50% du nominal.
Nécessitant une mise de fonds de 100.000 euros en nominal (+/_ 89.000 euros sur base des derniers cours), l’emprunt permet de tabler sur un rendement annuel de 5,40%.
Sur une échéance plus courte échéance, il est possible de tabler sur un rendement annuel de 6% au détour de l’emprunt remboursable dans moins de deux ans, au cours actuel de 98,50% du nominal. La coupure est cette fois fixée à 50.000 euros.
En ce qui concerne les obligations libellées en lire turque, notons que l’emprunt supranational émis par la Banque européenne d’investissement, remboursable en 2022 assorti d’un taux de 10%%, se traite désormais à 72% du nominal, pour un rendement annuel de 22% (rating « AAA » chez Standard & Poor’s).