Le moustique et la Kalachnikov. Acte 2

Encore un ! Un nouveau dossier explosif particulièrement déstabilisant pour le marché des changes est en train de se révéler. Fait particulièrement intéressant : le côté pour le moins burlesque de l’affaire, à mettre en parallèle avec les conséquences mondiales de l’affaire. Le 25 septembre dernier, nous présentions dans notre analyse quotidienne les premiers éléments d’un énorme délit d’initié autour du programme de soutien de la Fed à l’économie américaine. Aujourd’hui, une affaire tout aussi explosive nous interpelle.

Plusieurs grandes banques mondiales, et actrices centrales des marchés financiers, sont une nouvelle fois accusées d’avoir manipulé dans des proportions importantes le marché des changes (ou « Forex »). Ce matin, nous apprenions qu’une quinzaine de traders de haute volée sont notamment suspendus des places de Londres, New-York et Tokyo pour permettre à l’enquête d’avancer. Très clairement, ce dossier tentaculaire vise les plus grands opérateurs mondiaux en matière de trading sur les marchés des changes.

Le législateur souhaite tacler, à juste titre, différents grands opérateurs pour une simple et bonne raison : leur manque de finesse et délicatesse. Quand on souhaite créer l’un des plus grands délits d’initiés du siècle en décidant (littéralement !) du sens du marché des devises monétaires entre concurrents, on évite soigneusement de s’en vanter entre traders de firmes rivales. En théorie, tout du moins. En l’occurrence, des discussions sur différentes plateformes électroniques semblent indiquer que plusieurs responsables de Barclays, UBS et HSBC (entres autres…) n’ont pas eu cette finesse. A n’en pas douter, ces discussions entre copains vont coûter très cher. Dommage.

Car pour reprendre la conclusion de notre analyse du 25 septembre : « Définitivement, on ne chasse pas le moustique à la Kalachnikov ». Il est particulièrement frappant de voir à quel point ces deux récentes affaires, très proches dans le temps, démontrent le manque total de finesse et de bon sens des présumés coupables. Modestement et dans la plus parfaite des discrétions, ces clubs de discussion en ligne s’étaient tout simplement baptisés « Cartel », « la Dream Team », « le Club » ou « le Club des bandits » et visaient à décider, ensemble, du sens du marché. Sérieusement. La comparaison la plus proche serait un braquage de banque en plein jour, sans masque et via des ravisseurs prenant le soin de décliner leurs identités aux agents de sécurité. Du très, très grand art.

Des conséquences mondiales
Mais que l’on se rassure, à mesure que les investigations avancent, Barclays et UBS renforcent leurs défenses respectives en ayant engagé différents avocats pénalistes afin de défendre les traders mis en congés dans le cadre de l’enquête. Au stade actuel, nous ne pouvons que nous remémorer l’énorme scandale des manipulations sur les taux interbancaires Libor où cinq géants financiers avaient été jugés coupables. Le montant total des amendes s’était alors élevé à 3,5 milliards de dollars, un record en la matière.

Ne considérons pas cette affaire comme anodine. Chaque investisseur sur le marché du Forex est impacté. Comment ? Si les principaux opérateurs boursiers du marché deviennent « craintifs » à mesure que l’étau se resserre, une baisse de volatilité et une hausse de la nervosité sur les cours des parités monétaires est mécaniquement à anticiper. Précisons que la vague actuelle de suspension a créé un véritable gouffre pour ces grands acteurs du « Forex » dont l’objectif central est de placer des ordres boursiers à très court terme pour influer le cours des changes.

Aujourd’hui encore, Londres reste la première place mondiale vis-à-vis du Forex. Il y a trois jours, Barclays a été contraint de suspendre six de ses traders tandis que la Royal Bank of Scotland a congédié deux ses principaux opérateurs. Quelques très grands noms du milieu circulent déjà comme ceux de Chris Ashton, Julian Munson, Paul Nash et Mark Clark, des traders séniors basés à Londres ainsi que celui de Jack Murray, travaillant à Tokyo. D’autres encore, basés à New-York subissent le même sort. La Suisse n’est pas en manque avec la suspension de Niall O’Riordan et Matt Gardiner, traders senior à Zurich pour UBS. L’affaire est mondiale et les conséquences pour les marchés seront mécaniquement globales.

Le Wall Street Journal a également mentionné cette semaine que deux hauts responsables de Citigroup étaient impliqués pour la zone européenne ; Rohan Ramchandani et Richard Usher. Bien entendu, aucun de ces accusés n’a souhaité commenter l’enquête. Le journal n’a pas manqué de relever dans la foulée de possibles dysfonctionnements à venir et ce, à très court terme, compte tenu de la décapitation littérale qui est en cours. Les banques contraintes de coopérer avec les autorités ont accepté de communiquer les messages des groupes de discussion de cette « Dream Team » et certaines ont déjà reconnues être pleinement concernées par l’enquête dont Deutsche Bank, UBS, Barclays, Crédit Suisse, Citigroup, JP Morgan et RBS. La chasse à la kalachnikov n’aura pas fini de nous surprendre.