En tant que site web de référence dédié au marché obligataire, Oblis entend donner la parole à des experts pour connaître leur vision du marché. Premier à s’essayer à cet exercice, Pascal Gilbert, responsable de la gestion obligataire chez DNCA Finance*.
Pascal, pouvez-vous nous en dire plus sur votre parcours ?
Cela fait près de 30 ans que je travaille exclusivement dans le marché obligataire. J’ai notamment été responsable pendant 17 ans de la gestion obligataire du groupe La Française Asset Management, une société dont j’ai participé à la création.
Ensuite, le challenge que m’a proposé DNCA Finance l’an dernier m’a séduit. A l’inverse de mon précédent employeur, DNCA Finance est une maison surtout connue sur le marché action et un peu moins en gestion obligataire. Etre responsable de développer une stratégie obligataire sophistiquée, avec une grande liberté de gestion, m’a convaincu.
Quelles sont aujourd’hui, les stratégies que vous adoptez pour générer du rendement sur le marché ?
Si les épargnants classiques achètent généralement des obligations en fonction du rendement qu’elles procurent, et les conservent en portefeuille jusqu’à leur maturité, le contexte actuel du marché nous pousse à adopter une stratégie davantage proactive qui consiste à capter la volatilité du rendement des obligations durant leur vie.
Sur base de notre modèle macroéconomique et de notre modèle de valorisation, nous examinons et isolons, au sein des pays du G20, les obligations d’Etat qui nous paraissent surévaluées pour les shorter (vendre à découvert).
En d’autres termes, nous revendons les obligations dont nous estimons que le cours est gonflé, en espérant pouvoir les racheter dans le futur à un meilleur prix. Cette stratégie est actuellement possible étant donné que nous nous trouvons dans un marché obligataire (très) cher.
Je précise que nous ne tirons profit que de l’écart de volatilité des taux, en étant presque intégralement couvert contre le risque de change.
Quelles sont vos perspectives en matière d’évolution des taux ?
Etant économiste de formation, donner des prévisions de taux à un an ou plus me paraît toujours délicat, car c’est faire abstraction des statistiques économiques qui vont tomber entre-temps.
Lorsqu’une banque centrale commence son cycle de durcissement monétaire, il lui faut environ trois ans pour arriver à son objectif. En Europe, la première hausse des taux directeurs de la BCE devrait avoir lieu l’année prochaine. On peut dès lors imaginer que l’institution aura fini son cycle monétaire en 2022, avec des taux qui devraient se situer à ce moment dans la fourchette de 1,50 à 2%, inflation intégrée.
Aux Etats-Unis, les taux courts sont en ligne avec ce que nous dit la Réserve Fédérale américaine. Ses taux directeurs devraient se situer autour des 2,75 -3% à la fin du cycle de resserrement monétaire, mais peut-être plus en cas de hausse plus forte que prévue de l’inflation.
Selon vous, les obligations de qualité « Investment Grade » en euro ont-elles leur place dans un portefeuille ?
Plus du tout, pour la simple raison qu’il n’y a aucune perspective de rendement. Selon moi, quand bien même il n’y aurait pas véritablement de risque majeur sur ce type d’obligation, acheter quelque chose qui peut, dans le meilleur des cas, ne rien rapporter, n’est pas intéressant à mes yeux.
Quid des obligations spéculatives ?
Même topo selon moi. Si le High Yield pouvait paraître attractif il y a quelques années, ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui en regard du risque encouru. Je m’explique. Il y a deux ans, lorsque ce compartiment de marché rapportait du 5%, la croissance démarrait à peine tandis que la BCE s’engageait dans son cycle d’assouplissement quantitatif. Autant d’éléments qui nous donnaient pas mal de visibilité.
Entre-temps, le 5% est devenu 3% et les perspectives ont changé. La volatilité devrait s’accroitre et des défauts ne sont certainement pas à exclure en cas de ralentissement économique. Partant, le High Yield ne rémunère plus véritablement les risques encourus.
Précisons encore qu’avec la diminution du programme de rachat de la Banque centrale, la liquidité sera moins conséquente, provoquant de la sorte des écarts plus importants entre prix de vente et d’achat, ce qui n’est pas une bonne chose pour l’investisseur.
Une chose me paraît évidente en tous les cas, aujourd’hui, l’investisseur ne peut plus acheter son obligation spéculative et dormir dessus comme il pouvait se le permettre il n’y a pas si longtemps.
L’investisseur doit-il dès lors acheter des obligations en dollar, étant donné que les taux sont plus élevés dans cette devise ?
C’est une question qui revient souvent. Pour capter le différentiel de taux entre les emprunts en dollar qui offrent aujourd’hui du 3% contre grosso modo du 0% en euro, il faut accepter le risque de change.
Or, quand on connaît le panorama actuel de l’économie américaine, avec une inflation qui monte et qui devrait dépasser chaque année 2% durant la prochaine décennie, un dollar qui baisse, un déficit budgétaire croissant (6% en 2019) ou encore un déficit commercial béant sur lequel Donald Trump veut s’attaquer, je ne suis pas pour un investissement en dollar.
Si investir en euro ne rapporte rien et que le risque de change sur le dollar n’est pas compensé suffisamment par le rendement, que conseillez-vous ?
Sur base de nos prévisions, l’investisseur peut par exemple miser sur l’évolution des taux en se couvrant contre le risque de change. A savoir, shorter une obligation américaine et attendre que les taux remontent en dollar. Notons toutefois qu’il n’est pas aisé pour l’investisseur particulier de bénéficier des outils pour reproduire ce type de stratégie.
En ce qui nous concerne, nous shortons notamment la dette canadienne. Il faut savoir que le Canada est le pays où la remontée des taux a été la plus forte au monde ces derniers mois. Nous pensons également que les taux des obligations d’Etat suédoises et polonaises devraient également remonter.
Etes-vous confortable sur l’euro ?
Tout à fait, notre sentiment est que l’euro va se renforcer, et ce pour plusieurs raisons.
D’une part, le risque d’implosion que certains brandissaient il y a quelques années n’est plus d’actualité. Nous nous dirigeons au contraire vers un renforcement de la construction européenne avec de nouveaux pays qui devraient adopter la monnaie unique. Aujourd’hui, même les partis d’extrême gauche italiens semblent favorables à l’euro.
D’autre part, depuis cinq ans, la zone économique et monétaire dégage un excédent budgétaire primaire, en grande partie grâce à l’Allemagne bien sûr, qui devrait en outre se montrer plus conciliante avec le nouveau gouvernement.
Si ce n’est pas spécialement bon économiquement, les facteurs sont nombreux aujourd’hui à aller dans le sens d’une hausse de l’euro. Dès lors, je déconseille à court terme à tout investisseur d’acheter des titres libellés dans d’autres devises.
Que pensez de devises moins familières alors comme le réal brésilien où les rendements sont nettement plus importants ?
Evidemment se positionner sur le réal peut rapporter du 7,50-8%, mais les risques sont nombreux indépendamment du fait que la reprise économique est présente au Brésil. On sait par exemple qu’en cas de ralentissement économique aux Etats-Unis, les matières premières devraient chuter et pénaliser certaines devises émergentes. En outre, le risque de volatilité avec le réal se situe autour des 20%, contre 8% sur le couple euro-dollar.
Sur base de notre modèle, des devises où la volatilité est importante comme le réal brésilien, ne nous paraissent pas intéressantes.
Quelle est votre analyse de la correction observée en février, et que conseillez-vous à l’investisseur pour se protéger à cet égard ?
Compte tenu des resserrements monétaires à venir et étant donné qu’économiquement, on ne peut plus avoir de surprises réellement positives, je pense que nous avons devant nous une période de plus grande instabilité. Or, quand la volatilité augmente, les primes de risque et les rendements augmentent en conséquence, ce qui pourra par ailleurs créer des éventuelles opportunités à l’avenir.
Pour terminer, je conseillerai à l’investisseur de toujours se tourner vers des placements qui rémunèrent correctement le risque encouru.
L’avis d’Oblis ?
Bien que nous rejoignons Pascal Gilbert sur de nombreux points, nous sommes plus nuancés quant à la situation actuelle.
En effet, avec des indices boursiers qui évoluent proches de leurs plus bas annuels, nous pensons que la contribution des obligations dans un portefeuille diversifié reste plus que jamais d’actualité.