Publié à l'origine sur la Bourse au quotidien.fr
Wall Street alignait mercredi soir une seconde séance de repli : les investisseurs ne semblent pas avoir accordé beaucoup de crédit à l’auto-satisfecit que se décerne Donald Trump, en visite chez Boeing (NYSE:BA), pour avoir « instauré les conditions économiques les plus favorables aux Etats-Unis depuis plusieurs décennies »… avoir permis « la création de 3 millions d’emplois en 14 mois »… avoir restitué des « centaines de dollars » aux Américains grâce à sa tax reform et à ses baisses d’impôts. Donald Trump se félicite que les taxes économisées par les entreprises vont se transformer en revenus supplémentaires pour les salariés – ayons une pensée émue pour les 103 millions d’Américains sans travail et qui ont renoncé à en chercher – et le Président affirme tout simplement que les entreprises américaines ont connu en 2017 leur meilleure année au XXIe siècle…
Mais alors, pourquoi leur taux d’endettement global atteint-il des sommets, et pourquoi après « la libération de toutes les énergies grâce à la suppression de centaines de contraintes réglementaires », les commandes à l’industrie s’essoufflent-elles déjà (-1,4% en janvier), ainsi que les commandes aux entreprises au mois de février ? Et pourquoi assistons-nous à un nouveau recul de la consommation en février alors que « tous les ménages voient leurs poches se remplir de centaines, voire de milliers de dollars » grâce (prétendument) à sa réforme fiscale ?
Les ventes de détail aux Etats-Unis ont de nouveau reculé de 0,1% en séquentiel le mois dernier, selon le Département du Commerce, déjouant le consensus de +0,3% (après -0,3% en janvier, chiffre révisé à -0,1%). Hors automobile, elles ont augmenté de 0,2% en février, contre +0,4% anticipé par le consensus.
Le pouvoir d’achat supplémentaire dont Trump se targue d’être à l’origine est naturellement une escroquerie intellectuelle de bas étage : il résulte de la division de centaines de milliards d’économies d’impôt (dont bénéficient principalement les 1%) par le nombre de ménages que compte le pays, alors que l’inégalité de répartition de cette manne fiscale est abyssale.
Mais les médias US font semblant de rien, et tout l’entourage présidentiel donne du crédit à cette fake news en citant, face caméra, le cas « bien réel » d’un cousin, d’un ami de la famille qui a bénéficié d’une soudaine hausse de ses revenus, qui a pu libérer des moyens d’investir dans une start-up, qui a pu payer une meilleure école à ses enfants. Eh oui, le monde merveilleux des 1% fourmille d’anecdotes Bisounours de prospérité retrouvée.
Mais la réalité, c’est que 90% des Américains n’ont jamais été aussi endettés (rarement par choix), et il en va de même des entreprises (l’argent a cessé d’être gratuit depuis 18 mois, et la facture des intérêts augmente rapidement).
Mais Wall Street se préoccupe peu des questions de taux depuis 10 jours et le limogeage de Gary Cohn : son successeur pressenti et désormais officiel, Larry Kudlow, déclarait sur CNBC (où il fut un chroniqueur régulier) être favorable à encore plus de réductions de taxes, sachant que cette perspective entretiendra l’optimisme des agents économiques et dopera un peu plus le PIB. Et il précise qu’un surcroît de croissance ne créera pas d’inflation : il suffit d’observer ce qui se passe depuis l’élection de Donald Trump ! Donc Wall Street ne devrait pas s’alarmer à ce sujet, d’autant que le nouveau patron de la Fed, Jerome Powell, connaît bien son job.
Il soutient l’établissement de barrières douanières à l’encontre de la Chine « qui ne joue pas le jeu du libre-échange depuis trop longtemps » et s’alarme que les entreprises US partagent trop de leur savoir-faire et leurs brevets avec les entreprises chinoises qui « volent leur technologie et réexportent ensuite des produits copiés à moindre prix vers les USA ».
Mais au fait : qui a permis que les entreprises chinoises ne jouent pas le jeu, si ce ne sont les multinationales américaines, trop heureuses de pouvoir faire produire à moindre coût et d’accroître leurs marges ? Et en guise de punition, Donald Trump accorde une gigantesque amnistie fiscale aux multinationales qui trichent depuis des décennies, gagnant de l’argent partout, ne payant d’impôt nulle part. Oui Donald Trump a bien raison de faire la leçon aux Chinois : comme le dit Larry Kudlow, négocier, c’est savoir manier la carotte et le bâton. Et en l’occurrence, c’est la Chine qui détient le plus gros bâton : l’arme des Bons du Trésor et du financement des déficits américains.