Publié à l'origine sur ProposUtiles.fr
Au cours des derniers jours, le réseau social Reddit, la société GameStop, le courtier en ligne Robinhood, des milliers de particuliers et des fonds «spéculatifs» se sont retrouvés au cœur d’une étonnante affaire.
Gamestop, une société en déclin
Vous n’aviez très probablement jamais entendu parler de GameStop. Et pour cause, ce détaillant de jeux vidéo, qui possède notamment la chaîne de magasins Micromania, est en plein déclin. Il a perdu un tiers de son chiffre d’affaires en deux ans et n’a plus réalisé de profit depuis 2018. La dématérialisation des jeux vidéo est vue comme une tendance de fond très défavorable à la société. Au regard de ces perspectives, de nombreux fonds «spéculatifs» ont parié sur la baisse de l’action en la vendant à découvert (l’objectif étant de la racheter à un prix inférieur).
Des particuliers décident d’acheter en masse le titre
Mi-janvier, des changements ont été apportés au conseil d’administration de l’entreprise qui affirme alors vouloir doubler ses ventes numériques. Sur le réseau social Reddit, un forum intitulé «WallStreetBets» s’agite. Des particuliers anonymes évoquent l’achat de ce titre qui n’est autre que le plus vendu à découvert de toute la cote américaine (en pourcentage du capital). Le forum s’enflamme alors que l’action grimpe. De nouveaux intervenants s’intéressent à la valeur qui quadruple en 10 jours pour atteindre 80 $. Puis en quatre séances, un sommet est inscrit à 481,99 $ alors qu’Elon Musk (Tesla (NASDAQ:TSLA)) s’amuse du sujet en tweetant le lien vers le forum.
Des fonds vendeurs du titre sont déstabilisés
Ce mouvement brutal et inattendu a constitué une secousse aux multiples conséquences. Tout d’abord, les fonds «spéculatifs» qui étaient positionnés à la baisse ont subi de lourdes pertes. Ils ont dû se racheter dans la panique, ce qui a alimenté la course «haussière» du titre. C’est le phénomène du «shortsqueeze», à savoir la liquidation forcée des positions courtes (vendeuses). Tel était d’ailleurs l’objectif avoué des membres du forum Reddit. Dans la foulée, les mêmes fonds ont été contraints de vendre certaines de leurs positions longues (acheteuses) sur de grandes capitalisations de la cote pour couvrir leurs pertes et respecter leurs engagements. Ainsi, de manière indirecte, l’affaire GameStop a provoqué un regain de volatilité et un flux vendeur sur les marchés mondiaux. Autre conséquence : la chasse au «shortsqueeze» a été ouverte sur d’autres dossiers (AMC, Nokia (HE:NOKIA), les foncières européennes, l’argent...). Connu pour ses études au vitriol visant à convaincre les investisseurs de le suivre dans la vente à découvert de ses cibles, Citron Research a quant à lui annoncé qu’il ne publierait plus ce type d’avis. Enfin, le courtier RobinHood (privilégié par les jeunes pour son caractère ludique et sa gratuité), d’où sont partis la majorité des achats, a dû lever 3,4 Mds $ en urgence pour être en mesure de garantir la solvabilité des transactions qu’ils génèrent.
Une fronde des petits porteurs
Ce drôle d’épisode a été présenté comme la révolte des petits porteurs contre les fonds «spéculatifs», voire l’establishment financier. Le fait que Robinhood ait un temps suspendu la possibilité d’acheter des titres GameStop a alimenté l’idée que Wall Street cherchait à bloquer cette offensive. Et ce d’autant plus que le fonds Citadel, venu à la rescousse de Melvin Capital (le premier vendeur à découvert à avoir été pris au piège), n’est autre que le principal client de Robinhood. Il lui achète en effet ses flux d’ordres pour réaliser du trading haute-fréquence, ce qui permet à Robinhood d’assurer la gratuité des ordres. Le fait que la nouvelle secrétaire au Trésor du gouvernement Biden, à savoir Janet Yellen, ait perçu plus de 800 000 $ de la part de Citadel pour des conférences a également semé le trouble. Des politiques, comme la socialiste Alexandria Ocasio-Cortez, ont même jugé «inacceptable» la décision de Robinhood de suspendre les ordres d’achat sur GameStop. Tandis que la Securities and Exchange Commission (SEC) a promis d’examiner l’affaire.
La création monétaire alimente le «casino»
Pour autant, les particuliers qui ont voulu «mettre à genoux» les fonds sont-ils des justiciers empreints de responsabilité sociale dénonçant les «odieuses» ventes à découvert ou des «spéculateurs» comme les autres ? Le but de ces particuliers a bel et bien été de faire de l’argent rapidement. Ce ne sont d’ailleurs pas les fondamentaux qui ont été mis en avant, mais une logique de flux, capable de submerger les fonds. Les grands gagnants seront les initiateurs du projet qui auront su attirer des centaines de milliers de joueurs aguichés par la perspective d’un gain facile. Plus qu’une révolte, cet épisode ressemble à une tentative de putsch : les particuliers ont utilisé les armes habituelles des fonds (comme agir vite et à plusieurs) pour les détrôner. Mais ils sont aussi le fruit de la politique monétaire outrageusemnt laxiste qui laisse croire à certains que la Bourse n’est qu’une sorte de casino miraculeux où l’argent tombe du ciel.
La vente à découvert mise à mal
La grande victime de l’affaire reste la vente à découvert. Or, celle-ci demeure un élément essentiel dans le mécanisme de découverte des prix. De nombreuses études ont en effet démontré que la vente à découvert a un impact positif sur la transparence des entreprises. Sans celle-ci, la révélation de l’arnaque Wirecard n’aurait probablement pas encore eu lieu. Comme l’a souligné Carson Block (Muddy Waters), les vendeurs à découvert traquent les pratiques des entreprises consistant à masquer la vérité. Mais encore faut-il que celle-ci intéresse encore les intervenants...