C'est le scandale qui l'a vu naître et le jugement qui le consacre: la condamnation de l'ex-ministre Jérôme Cahuzac à trois ans de prison ferme est une belle victoire pour le jeune parquet national financier (PNF), dont l'appétit agace.
Le PNF n'a pas boudé son plaisir, twittant chacune des peines prononcées jeudi contre l'ancien ministre, son ex-épouse, et leurs banquiers: des sanctions "exemplaires et justes", une décision dont "on espère qu'elle servira de référentiel pour les dossiers à venir", a déclaré à l'AFP le procureur Jean-Marc Toublanc, secrétaire général du PNF.
Le tribunal correctionnel de Paris, qui a sanctionné "une faute pénale d'une exceptionnelle gravité, destructrice du lien social et de la confiance des citoyens dans les institutions", a suivi en tous points les réquisitions de la patronne du PNF.
Face à l'ancien ministre du Budget qui avait un compte caché en Suisse, Eliane Houlette était venue en personne dénoncer la "délinquance en col blanc", qui coûte chaque année entre 60 et 80 milliards d'euros à la France.
Le jugement sera sans doute analysé à la loupe par d'autres illustres prévenus de fraude fiscale comme la petite-fille de la couturière Nina Ricci et l'ex-bras droit de Nicolas Sarkozy, Claude Guéant.
Le procès a servi de tribune à la jeune institution, créée en décembre 2013 dans la foulée de ce qui restera le plus retentissant scandale de la présidence Hollande.
Début décembre, le PNF comptait 15 magistrats, dont 13 opérationnels, pour 376 affaires en cours. Parmi ces dossiers, 45% concernent des "atteintes à la probité" comme la corruption ou le trafic d'influence, et 43% des faits de fraude fiscale, blanchiment ou escroquerie à la TVA, a précisé M. Toublanc.
Son installation, se souvient un avocat, a fait grincer les dents de magistrats hostiles à l'idée de devoir céder un peu de leur terrain. Et il a subi quelques revers, comme la relaxe de François Pérol, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy et président du groupe Banque populaire Caisses d'épargne (BPCE), dans une affaire de "prise illégale d'intérêts".
Mais le PNF a aussi obtenu en 2016 de lourdes condamnations, notamment dans une médiatique affaire de fraude à la taxe carbone (un à huit ans de prison pour onze personnes).
- Un 'périmètre élargi'? -
Après les hommes, viendront les banques. En 2017 devraient se tenir les procès des banques UBS et HSBC pour "blanchiment aggravé de fraude fiscale", a relevé M. Toublanc. Les sommes en jeu sont considérables, UBS risquant théoriquement une amende correspondant à la moitié des sommes fraudées, évaluées par le PNF à 9,76 milliards.
"Au PNF, glisse un avocat fiscaliste, ils rapportent beaucoup plus qu'ils ne coûtent et estiment qu'ils devraient voir leur périmètre élargi".
Mais à peine la condamnation de Jérôme Cahuzac tombée, la jeune institution a vu sèchement censuré par le Conseil constitutionnel un amendement parlementaire de la loi Sapin II qui lui attribuait une "compétence exclusive" pour la poursuite des délits de fraude fiscale aggravée et pour blanchiment.
Le PNF est actuellement chargé des plus grosses affaires de fraude, ce qui n'empêche pas les tribunaux régionaux de continuer à traiter ce genre de dossiers.
Les "Sages" ont relevé le danger d'un transfert de compétences sans "dispositions transitoires" et donc pouvant potentiellement fragiliser les procédures en cours. De hauts magistrats étaient aussi vent debout contre cette centralisation.
La censure du Conseil constitutionnel a été "un immense soulagement" dans les juridictions, selon une source judiciaire. Interrogé sur sa volonté ou non de voir étendu son champ d'action, le PNF n'a pas souhaité répondre.
Mais, demande Pascal Gastineau, président de l'Association des magistrats instructeurs, "n'est-il pas temps de se poser la question d'une juridiction nationale spécialisée?"
C'est ce qui existe notamment en Espagne, où un parquet national anticorruption de 40 magistrats gère quelque 340 affaires, ou en Grande-Bretagne, où le Serious Fraud Office s'est vu attribuer 10 millions d'euros supplémentaires après la révélation du scandale des "Panama Papers".
Le PNF français, lui, attend toujours sept magistrats pour arriver aux 22 prévus lors de sa création.