par Emmanuel Jarry
PARIS (Reuters) - La droite accuse François Hollande d'entretenir la "guerre des mémoires" par sa décision de commémorer le cessez-le-feu qui a mis officiellement fin aux combats de la guerre d'indépendance algérienne le 19 mars 1962.
Une loi du 6 décembre 2012 fait de cette date une journée nationale de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc. François Hollande sera samedi le premier chef de l'Etat français à y participer.
A moins de 14 mois de l'élection présidentielle, Nicolas Sarkozy, président du parti Les Républicains (LR), s'empare du sujet. "Le président de la République et sa majorité ont choisi délibérément le 19 mars (...) pour commémorer la fin de la guerre d'Algérie", écrit le prédécesseur de François Hollande dans une tribune publiée vendredi dans Le Figaro.
"Pour qu'une commémoration soit commune, il faut que la date célébrée soit acceptée par tous. Or chacun sait qu'il n'en est rien", ajoute-t-il.
Il rappelle que ce cessez-le-feu n'a pas mis fin à toutes les violences (attentats, exactions contre les harkis partisans de la France, rapatriement des Français d'Algérie).
"Choisir la date du 19 mars, que certains continuent à considérer comme une défaite militaire de la France (...) c'est considérer qu'il y a désormais un bon et un mauvais côté de l'Histoire et que la France était du mauvais côté", dit-il.
Riposte du numéro un du Parti socialiste, Jean-Christophe Cambadélis, dans un tweet : "Nicolas Sarkozy rejoue la bataille d'Alger ! Il est temps, voire urgent, de tourner la page."
Le président du groupe PS à l'Assemblée nationale, Bruno Le Roux, a accusé l'ex-chef de l'Etat de se tromper de bataille. Nicolas Sarkozy "remet en cause la loi de son pays (...) au profit d'un débat qui rouvre des plaies quand le président veut les fermer", a-t-il déclaré à Sud Radio et Public Sénat.
La décolonisation de l'Algérie, ses suites et les difficiles relations entre Paris et Alger ont laissé à droite et à gauche des séquelles, causes de nombreuses polémiques.
"PROVOCATION MÉMORIELLE"
Cette fois, la mèche a été allumée le 11 mars par la députée LR des Alpes-Maritimes Michèle Tabarot dans une lettre ouverte à François Hollande.
Le 19 mars "reste synonyme d’une souffrance jamais éteinte pour les Pieds-noirs, les Harkis et leurs descendants" qui ont eu à choisir "entre la valise et le cercueil", écrit cette descendante de rapatriés d'Algérie.
Elle demande au chef de l'Etat de renoncer à prononcer un discours à cette occasion, devant le Mémorial national de la guerre d'Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie, quai Branly, dans le XVe arrondissement de Paris.
D'autres dirigeants de droite lui ont emboîté le pas, comme le député LR Hervé Mariton, né à Alger, qui a dénoncé sur BFM TV et RMC une "provocation mémorielle".
"Pour moi, le départ d’Algérie est une tragédie et je ne me sens pas de marquer le 19 mars", a-t-il expliqué.
La présidente du Front national, Marine Le Pen, dénonce dans un communiqué une "commémoration du déshonneur" et accuse le chef de l'Etat de "violer" la mémoire des anciens combattants, harkis et rapatriés "morts pour la France" en Algérie.
L'hebdomadaire Valeurs Actuelles, proche de l'extrême droite, a lancé une pétition signée par une vingtaine d'associations de rapatriés d'Algérie demandant non seulement l'abandon de la commémoration du 19 mars mais aussi que soient débaptisées les rues et places portant cette date.
L'entourage du chef de l'Etat assure que son intention est au contraire d'essayer d'apaiser et de rassembler.
Pour l'historien Benjamin Stora, la commémoration du conflit algérien reste pour la France un défi. "La guerre d'Algérie continue dans les têtes, les cœurs, les mémoires. Le problème décisif reste d'essayer d'y mettre fin", a-t-il dit à Europe 1.
Lui se rallie au choix du 19 mars car "le groupe le plus important de cette guerre, ça reste les (soldats) appelés".
"Un million et demi de jeunes hommes sont allés en Algérie et, pour eux, la date du 19 mars 1962 est fondamentale", a-t-il rappelé. "Elle signifie la fin des épreuves, le fait de retrouver sa famille et son travail."
(Avec Simon Carraud et Jean-Baptiste Vey, édité par Sophie Louet)