La justice a désigné lundi, au bout de onze ans, des coupables dans la catastrophe AZF au grand soulagement des victimes: l'ex-directeur, condamné à trois ans de prison, dont un an ferme, pour homicides involontaires, et le propriétaire de l'usine, Grande-Paroisse (groupe Total).
L'ancien directeur, Serge Biechlin, a aussi été condamné à 45.000 euros d'amende. Grande Paroisse a été condamnée, elle, à 225.000 euros d'amende, la peine maximale.
La cour a pleinement suivi la thèse d'un accident chimique provoqué par le mélange de deux produits incompatibles, rendu possible par les négligences de l'industriel. Le plus grave accident industriel en France depuis 1945 avait fait 31 morts et 2.500 blessés le 21 septembre 2001.
La plupart des parties civiles se sont réjouies que la justice ait enfin désigné des coupables, tout en regrettant que la maison mère Total, à la différence de sa sous-filiale, ait été mise hors de cause.
Après deux procès fleuves et ces condamnations, l'affaire AZF n'est pas finie pour autant. La défense de Grande-Paroisse et de M. Biechlin a répliqué vivement dès la fin de l'audience de délibéré en annonçant un "pourvoi en cassation aujourd'hui même", car "il n'y a pas l'ombre d'une preuve dans le dossier" selon le chef de file des avocats de la défense, Me Daniel Soulez Larivière.
En première instance, le tribunal avait été sévère pour l'organisation de la sécurité dans l'usine mais il avait relaxé les prévenus, faute d'avoir la preuve matérielle qu'un produit chloré (DCCNa) avait été malencontreusement apporté sur le tas de nitrate d'ammonium dans le hangar 221 qui avait explosé.
Cette fois, la cour n'a pas affiché les mêmes scrupules judiciaires. Elle a écarté toutes les autres pistes criminelles ou accidentelles et a suivi les experts judiciaires.
Elle est même allée au-delà des réquisitions de l'avocat général dans le cas de Serge Biechlin contre lequel étaient requis 18 mois avec sursis et 15.000 euros d'amende.
Selon les motivations lues par le président de la cour d'appel Bernard Brunet devant des centaines de parties civiles et d'auditeurs, "M. Biechlin a contribué à créer la situation qui a provoqué le dommage et n'a pas pris les mesures permettant de l'éviter: ces fautes ont exposé les salariés et la population à un risque d'une particulière gravité qu'il ne pouvait pas ignorer".
Elle a imputé le mélange fatal du DCCNa et du nitrate d'ammonium à ces manquements dans la gestion des déchets.
Total a toujours estimé que le scénario de l'accident chimique était "impossible".
L'association d'ex-salariés "Mémoire et Solidarité", qui récuse avec Total toute négligence à l'origine de l'explosion d'AZF, souhaitait que la cour décide "un supplément d'information" pour rouvrir l'enquête. La cour a écarté cette demande.
Avant même le délibéré, son président Jacques Mignard annonçait pourtant que l'association ne renoncerait pas: "Notre recherche de vérité est sans limites et ne s'arrêtera pas au temps judiciaire", déclarait-il le 21 septembre.
L'affaire AZF a donné lieu à deux longs procès. Le procès en appel a duré quatre mois et demi jusqu'au 16 mars 2012, occupant 400 heures d'audience pour déterminer la cause de l'explosion de 300 tonnes de nitrate d'ammonium stockés dans le hangar 221 d'AZF.
La décision est tombée rapidement lundi après-midi, le président Bernard Brunet se contentant pour l'essentiel de lire le dispositif judiciaire au lieu d'énumérer longuement les motivations comme l'avait fait pendant près de deux heures le tribunal correctionnel en première instance.
"Cela avait créé un suspense très douloureux parce que décevant pour les victimes", déclarait Me Stella Bisseuil, avocate de l'association de "familles endeuillées" à la veille de la décision de la cour d'appel.
Les parties civiles, tout en se déclarant soulagées, s'attendaient à un nouveau combat avec le pourvoi en cassation de la défens.
"C'est une grande victoire, ça me réconcilie un peu avec la justice", mais "si la manifestation de la vérité a été aussi longue, c'est parce que Total s'est épuisé à camoufler la vérité. Cela, c'est une défaite parce que le véritable responsable, c'est le groupe Total, ce n'est pas M. Biechlin", a dit Gérard Ratier, président de l'Association de familles endeuillées.