par Emmanuel Jarry et Yves Clarisse
PARIS (Reuters) - L'exécutif français est confronté à une équation "presque impossible" et seul un "gouvernement de salut public" décidé à engager des réformes structurelles massives pourra sortir la France de l'impasse, juge l'économiste Jacques Attali.
Pour l'ancien conseiller de François Mitterrand, qui a l'oreille de François Hollande, vouloir ramener à tout prix les déficits publics français à 3% du PIB en 2017, comme l'a promis mercredi le ministre des Finances, Michel Sapin, est une erreur.
"Les retards accumulés sont gigantesques et l'équation est presque devenue impossible, puisque réduire les déficits c'est précipiter le pays dans la dépression et ne pas les réduire c'est précipiter le pays dans le surendettement", a-t-il déclaré dans une interview accordée à Reuters.
"Si on essaie d'atteindre 3% de déficit en 2017, le pays rentre en dépression, et même si on reporte à 2020, la croissance ne sera que de 0,5%. Donc à l'intérieur de cette équation-là, il n'y a pas de solution", ajoute-t-il.
La France est en quasi-stagnation économique depuis trois ans, avec un taux de chômage autour de 10% et un déficit public à 4,4% du PIB en 2014. Les perspectives sont à peine meilleures pour 2015, avec aucune embellie attendue du côté de l'emploi, malgré un euro moins fort, un prix du pétrole en baisse et des taux d'intérêt historiquement bas pour la dette française.
Cet alignement favorable euro-pétrole-taux d'intérêt "peut aider" mais ne suffira pas à créer les conditions pour que la France sorte de la contradiction dans laquelle elle est plongée, estime le président du groupe PlaNet Finance.
GASPILLAGE
Elle est donc, selon lui, condamnée à "naviguer à vue" face au risque de déflation en espérant une relance économique mondiale qui ne suffira pas non plus à régler ses problèmes.
"La solution est dans les réformes de structure", estime Jacques Attali. "Les réformes de structure n'ont pas commencé, à mon sens, sérieusement."
Il suggère un programme de réformes "de salut public", allant bien au-delà de celles que le ministre de l'Economie, Emmanuel Macron, propose dans son projet de loi pour la croissance et l'activité.
Il plaide ainsi pour une "vraie réforme des collectivités territoriales" avec suppression du département et clarification des compétences, une remise à plat de la loi sur la formation permanente -- "un désastre de gaspillage" -- et des 45 milliards d'euros "gaspillés dans l'aide au logement".
Il prône une réforme fiscale qui réduise la fiscalité sur la création de richesses, augmente celle portant sur les rentes et "bascule beaucoup d'impôts sur la fiscalité indirecte".
Il recommande en même temps plus de flexibilité du marché du travail, avec la mise en place d'un contrat de travail unique associé à une formation permanente des chômeurs.
Il faudrait aussi selon lui que la France s'oriente vers un régime de retraite par points "de type suédois", combinant les avantages du système par répartition et de la capitalisation.
GOUVERNEMENT DE SALUT PUBLIC
Il invite enfin François Hollande et Manuel Valls à "stabiliser le droit" français pour mettre fin à un "très grand sentiment d'arbitraire" fiscal, administratif ou politique, qui dissuade, estime-t-il, les investisseurs étrangers.
Or, fait-il valoir, le potentiel de croissance dépend justement du niveau d'investissement.
Juge-t-il le chef de l'Etat et son Premier ministre capables de s'engager dans un tel programme de réformes d'ici la fin du quinquennat, en 2017 ? "Je ne le sais pas", répond-il.
"Les gouvernements de Jean-Marc Ayrault et de Manuel Valls ont commencé des réformes très significatives qui, à mon avis, représentent 10% de ce qu'il faudrait faire."
"Rien n'est possible sans une volonté. C'est pour cela que j'en appelle aujourd'hui à un gouvernement de salut public", ajoute Jacques Attali, une référence au comité créé en 1793 pour défendre la jeune République française menacée.
Un tel gouvernement devrait proposer une vision de la France en 2020, enjambant les échéances électorales, avec un projet de réformes "clair et cohérent à six ou dix ans, fondé sur des principes et non au coup par coup", explique-t-il.
Pour Jacques Attali, "ça peut très bien se faire avec l'actuel Premier ministre mais ça ne doit surtout pas être un gouvernement d'union nationale, parce que ça serait servir d'ouvre-boîte à la question du Front national au pouvoir."
(Edité par Yves Clarisse)