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Le président turc reprend la main après le putsch manqué

Publié le 16/07/2016 18:47
© Reuters. UN PUTSCH DÉJOUÉ EN TURQUIE

par Orhan Coskun et Gulsen Solaker

ISTANBUL/ANKARA (Reuters) - Les autorités turques se sont efforcées samedi de reprendre le contrôle du pays, quelques heures après l'échec d'un coup d'Etat militaire dans lequel plus de 160 personnes, dont des dizaines de civils, ont perdu la vie.

Le président Recep Tayyip Erdogan a accusé les instigateurs du coup de force, lancé vendredi soir, d'avoir essayé de le tuer et promis que l'armée serait purgée des éléments séditieux.

"Ils paieront le prix fort", a promis le chef de l'Etat turc. "Ce soulèvement est un don de Dieu parce qu'il nous offre l'occasion de nettoyer l'armée."

La justice n'a pas été épargnée puisque plus de 2.700 magistrats ont été révoqués dès samedi. Cinq d'entre eux appartenaient au Conseil supérieur des juges et des procureurs.

La présidence a appelé les Turcs à descendre dans les rues samedi soir pour défendre la démocratie. Des abonnés aux services turcs de téléphonie ont reçu un SMS signé "Recep Tayyip Erdogan" les invitant à manifester contre les putschistes.

Selon le gouvernement, qui assure que la situation est maîtrisée, près de 3.000 militaires ont été arrêtés, du simple soldat à l'officier, notamment ceux qui formaient la "colonne vertébrale" du coup d'Etat. Parmi les officiers arrêtés, figure le commandant en chef de la deuxième armée, Adem Huduti, l'un des plus hauts gradés du pays.

Certains hauts gradés loyalistes seraient toutefois encore retenus en otage par des putschistes, a dit un ministre.

Au Parlement, le Premier ministre, Binali Yildirim, a jugé que les putschistes n'étaient "pas des soldats mais des terroristes" et a invité toutes les formations politiques qui n'étaient pas impliquées dans le coup de force à coopérer pour donner le coup d'envoi d'un "nouveau départ".

Dans un communiqué commun lu au Parlement, les quatre principaux partis politiques, dont le HDP pro-kurde, ont condamné la tentative de coup d'Etat.

Kemal Kilicdaroglu, chef de file du CHP (social-démocrate et laïque) a dénoncé la tentative de putsch et déclaré que cet événement allait favoriser le rapprochement entre les différentes composantes de la vie politique turque et l'affermissement de la démocratie.

VISIOCONFÉRENCE

En vacances dans le sud-ouest lorsque le coup d'Etat a été déclenché, le président Erdogan s'est rendu à Istanbul où son avion s'est posé peu avant l'aube et où il a été accueilli par une foule de partisans. Il les a assurés que le gouvernement restait aux commandes du pays, même si quelques poches de putschistes résistaient encore à Ankara, la capitale du pays.

Samedi après-midi, la chaîne CNN Türk rapportait que les forces de sécurité avaient achevé une opération menée contre les putschistes au quartier général de l'état-major de l'armée. De sources sécuritaires, on rapporte qu'une centaine de militaires ont été arrêtés sur une base aérienne du sud-est du pays.

Les putschistes auraient selon Recep Tayyip Erdogan essayé d'attaquer la station balnéaire de Marmaris où il se reposait. "Ils ont bombardé des cibles juste après mon départ (...). Sans doute, pensaient-ils que nos étions encore là."

Le Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur) dont Recep Tayyip Erdogan est issu entretient des relations compliquées avec l'armée, dont un certain nombre de cadres défendent une vision laïque de l'Etat turc.

Si Recep Tayyip Erdogan est adulé par ses partisans, il est également honni par de nombreux Turcs qui le taxent d'autoritarisme et lui reprochent, entre autres, d'avoir brutalement réprimé des manifestations en 2013.

Adversaire déclaré des nouvelles technologies et des réseaux sociaux dont il tente de limiter l'influence, Recep Tayyip Erdogan leur doit peut-être l'échec du coup d'Etat qui le visait. Il a ainsi eu recours à une application de visioconférence pour s'adresser à la nation et appeler ses partisans à descendre dans la rue pour défendre le gouvernement.

Le président turc a mis en cause l'opposant Fethullah Gülen, qu'il accuse de longue date de noyauter les instances judiciaires et militaires pour le renverser. Le prédicateur réfugié aux Etats-Unis a toutefois condamné samedi la tentative de coup d'Etat et s'est dit étranger à cette dernière.

Les condamnations sont également venues de l'étranger où de nombreuses chancelleries ont exprimé leur soutien au gouvernement turc.

Le président Barack Obama et son secrétaire d'Etat, John Kerry, ont ainsi considéré "que toutes les parties en Turquie doivent soutenir le gouvernement démocratiquement élu, faire preuve de retenue, éviter la violence et les effusions de sang", dit la Maison blanche dans un communiqué.

Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, a également condamné le coup de force et salué la "grande maturité" et le "courage" de la population turque qui s'est engagée "pour le respect de ses institutions".

COUVRE-FEU ET LOI MARTIALE

Vendredi soir, les putschistes semblaient pourtant en position de force. Des militaires avaient fait irruption au siège de la TRT, la télévision publique, dont un présentateur a lu un communiqué accusant le gouvernement de porter atteinte à la démocratie et à la laïcité et annonçant l'instauration d'un couvre-feu national et de la loi martiale.

La TRT a ensuite cessé d'émettre mais les émissions ont repris aux premières heures de samedi après ce que le personnel a qualifié de prise d'otages.

Des avions de combat et des hélicoptères ont survolé Ankara tandis que des soldats bloquaient à Istanbul le pont enjambant le Bosphore qui sépare les rives asiatiques et européennes.

Samedi matin, les députés étaient réfugiés dans le Parlement, lui même sous le feu des chars des putschistes. Un député de l'opposition a dit à Reuters que le Parlement avait été touché à trois reprises et que plusieurs personnes avaient été blessées.

La dynamique du coup d'Etat s'est cassée dans la nuit lorsque des milliers de manifestants sont descendus dans la rue, défiant le couvre-feu et se réunissant sur les principales places d'Ankara et Istanbul, brandissant des drapeaux turcs et scandant des slogans hostiles aux putschistes.

© Reuters. UN PUTSCH DÉJOUÉ EN TURQUIE

"Nous avons un Premier ministre, nous avons un chef, nous n'allons pas laisser ce pays s'effondrer", criait un homme près de l'aéroport d'Istanbul alors que des partisans du gouvernement montaient sur un char.

(Avec les rédactions d'Ankara et Istanbul, Jean-Philippe Lefief, Jean-Stéphane Brosse, Simon Carraud et Nicolas Delame pour le service français)

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