La Banque centrale européenne (BCE) a décidé jeudi de frapper fort face à ceux qui doutent de la viabilité de la zone euro et de la monnaie unique, annonçant entre autres un programme illimité de rachat de dette des pays les plus fragiles, comme l'Espagne ou l'Italie.
Ce nouveau programme, soumis à condition et baptisé "Outright monetary transactions" (OMT), va prendre la suite de celui lancé en mai 2010, lors de la première crise grecque, le SMP. Ce dernier s'est montré incapable d'éviter l'aggravation de la crise de la dette, car limité en temps et surtout en montant.
L'OMT se justifie par "les perturbations graves observées sur le marché des obligations publiques qui proviennent de craintes infondées de la part des investisseurs sur la réversibilité de l'euro", a déclaré le président de la BCE Mario Draghi lors de sa conférence de presse mensuelle à l'issue de la réunion du conseil des gouverneurs de l'institution de Francfort.
Ce programme sera toutefois enclenché à la condition stricte que les Etats qui souhaitent en bénéficier aient auparavant fait appel à l'aide des fonds de secours européens, le FESF, provisoire, et le MES, son futur successeur. En clair, il faudra qu'un pays comme l'Espagne, très réticent jusqu'à présent, réclame officiellement cette aide avant qu'il ne puisse être mise en oeuvre.
Les places boursières, qui craignaient que la BCE tergiverse après avoir promis cet été une action d'envergure, ont accueilli cette décision avec satisfaction et clôturé en nette hausse.
Le président du Conseil italien Mario Monti a qualifié de "pas en avant important" les décisions de la BCE, estimant qu'elles constituent "un pas en avant important", "qui va vers une gouvernance plus satisfaisante de la zone euro".
Le président français François Hollande et le Premier ministre britannique David Cameron ont salué à Londres le nouvel arsenal de sauvetage de la zone euro annoncé par la Banque centrale européenne (BCE).
"Je respecte l'indépendance de l'institution mais je considère qu'elle a agi en conformité au mandat qui lui est confié" en veillant à la "stabilité des prix" et à la "croissance en Europe", a déclaré M. Hollande devant la presse, aux côtés de David Cameron.
La BCE est "plus proche que jamais" de ce que souhaitait le gouvernement britannique "depuis deux ans", a renchéri M. Cameron en rappelant qu'il souhaitait qu'elle se tienne "fermement derrière l'euro" et soutienne "puissamment ses (propres) déclarations par du financement et un plan clair".
Pour le président de la Commission européenne, Jose Manuel Barroso, la BCE a agi "totalement dans son mandat" et en "pleine indépendance".
Selon Holger Schmieding, économiste à la banque Berenberg, M. Draghi a "tenu parole".
"Après une année au cours de laquelle la BCE a laissé le tumulte sur les marchés obligataires empêcher la transmission de sa politique monétaire, elle s'attaque au coeur du problème de la crise de la zone euro" et signifie qu'elle ne "laissera aucun membre solvable de l'euro faire faillite", ajoute-t-il.
Selon lui, les investisseurs qui ont appris à ne pas se mettre en travers du chemin de la Banque centrale américaine, la Fed, vont désormais réaliser qu'il ne faut pas non plus se frotter à la BCE.
En Espagne, où le Premier ministre espagnol Mariano Rajoy recevait la chancelière allemande Angela Merkel, les deux dirigeants ont refusé dans un premier temps de commenter les décisions de la BCE.
L'Espagne, qui a déjà adopté des mesures d'austérité douloureuses, se refuse pour l'instant à faire appel à une aide globale européenne -après celle obtenue pour ses banques- tant qu'elle ne sait pas ce qu'il lui sera demandé comme sacrifice.
Mme Merkel s'est borné à dire que la BCE avait agi "dans le cadre de son indépendance et de son statut" avant de confirmer son opposition au rachat de dette publique.
M. Draghi a indiqué que le nouveau programme avait été voté à l'unanimité du conseil des gouverneurs de l'institution moins une voix, celle donc de Jens Weidmann, président de la Bundesbank.
Dans un communiqué jeudi après-midi, la Bundesbank a réitéré ses critiques.
"Si ce programme conduit les Etats à repousser les réformes nécessaires, cela va de nouveau saper la confiance dans la capacité des responsables politiques à résoudre la crise", a-t-elle estimé.
Le FMI s'est dit "prêt à coopérer" avec la BCE sur ce nouveau programme, a annoncé sa directrice générale Christine Lagarde dans un communiqué.
"Nous saluons vivement le nouveau schéma d'invervention de la BCE sur le marché de la dette des Etats (...). Le FMI se tient prêt à coopérer dans la limite de son mandat", a-t-elle déclaré.
Le programme OMT doit se concentrer sur les obligations de court et moyen termes, "entre un et trois ans", a déclaré M. Draghi, précisant que trois ans était "la maturité la plus efficace pour atteindre les objectifs".
Contrairement au scénario qui avait circulé dans la presse, la BCE ne va pas viser de niveaux spécifiques sur les écarts de taux d'emprunt (spreads) entre les Etats de la zone euro au-delà desquels elle interviendrait automatiquement en achetant des titres de dette.
La BCE va par ailleurs de nouveau alléger ses critères pour les garanties (collatéraux) qu'elle exige des banques de la zone euro en contrepartie des prêts qu'elle leur accorde via ses opérations de refinancement.
Elle a en revanche laissé son principal taux directeur à 0,75%, son plus bas niveau historique. Peu d'analystes attendaient une nouvelle baisse de ce baromètre du crédit en zone euro, alors que la précédente en juillet n'avait eu que peu d'effet, de l'aveu même des dirigeants de la BCE.